LE PLUS. Qui se cache derrière le vote blanc ? Pour Bruno Cautrès, chercheur au Cevipof, voter blanc n'est pas s'abstenir. Mais alors, faudrait-il comptabiliser le vote blanc dans les suffrages exprimés ? La question est plus compliquée.
Le niveau du vote blanc et nul a été fort lors du second tour de la présidentielle de 2012. En moyenne nationale, il se situe à près de 6%, ce qui n’égale pas le record de 1969 lors d’une élection présidentielle (6.42%) mais ce qui se situe néanmoins assez haut et proche des pourcentages enregistrés en 1995 ou 2002 (dans le contexte du second tour opposant Jacques Chirac à Jean-Marie Le Pen).
C’est la progression du votre blanc et nul entre le premier et le second tour qui est spectaculaire puisque l’on en comptait moins de 2%, le 22 avril dernier. Cette forte progression a d’ailleurs pu être observée à des niveaux élevés dans des départements du Nord et du Nord-Est de la France : la Somme (6.77%), l’Aisne (6.97), le Pas de Calais (7.21), le Territoire de Belfort (7,65 %), les Vosges (8.19%). On peut observer que ces département avaient accordé des pourcentages de voix élevés à Marine Le Pen au premier tour (de l’ordre du quart des exprimés).
C’est d’ailleurs davantage dans les terres au Nord et au Nord-Est de la France qu’au Sud-est ou ce phénomène se constate à quelques exceptions près (dans le Gard où Marine Le Pen était arrivée en tête au premier tour on constate 6.67% de vote blanc et nul quinze jours plus tard).
Qui a voté blanc ?
Au niveau des motivations de ceux qui ont choisi le vote blanc et nul (rappelons que les deux ne sont pas distingués en France), rappelons tout d’abord que cette élection présidentielle s’est déroulée dans un climat de doutes quant à la capacité des politiques à agir sur le réel.
Certes, l’élection présidentielle fait naître des espérances, mais un climat de défiance généralisée vis-à-vis de la politique existe. Par ailleurs, les circonstances sont particulières pour ce second tour de 2012 en raison de la décision de Marine Le Pen d’indiquer clairement qu’elle voterait blanc au deuxième tour, sans pour autant donner de consigne à ses électeurs.
Beaucoup de ses électeurs ont sans doute contribué à ce grand nombre de bulletins nuls ou blancs, tout comme l’ont fait une partie des électeurs de la gauche de la gauche.
Nathalie Arthaud avait en effet clairement refusé d’exprimer une consigne de vote pour le second tour ("au deuxième tour, mes électeurs voteront selon leur conscience") tandis que Philippe Poutou avait appelé de manière indirecte à voter Hollande ("il faut dégager Sarkozy et toute sa bande en votant contre lui"). On peut faire l’hypothèse aussi que, parmi ces bulletins blancs ou nuls, il y avait aussi des électeurs de François Bayrou ne souhaitant ni suivre le choix de leur candidat, ni voter pour Nicolas Sarkozy.
Au-delà de ses chiffres, comment expliquer le vote blanc ou nul ?
Tout d’abord, une précision s’impose : il faut d’abord rappeler que, lors du dépouillement, les votes blancs et nuls sont comptabilisés et sont annexés au procès-verbal dressé par les responsables du bureau de vote. Les votes blancs ne sont en fait pas distingués des votes nuls (bulletins déchirés ou annotés). Ces votes blancs et nuls n’apparaissent pas dans le résultat officiel où ne sont mentionnés que le nombre des électeurs inscrits, le nombre de votants, les suffrages exprimés (ensemble des bulletins moins les votes blancs et nuls).
Les électeurs qui expriment un vote blanc ou nul ne sont pas les mêmes que les abstentionnistes.
En général, les abstentionnistes se trouvent dans une certaine distance sociale de la sphère publique, à part une frange d’entre eux s’abstiennent par conviction ou pour exprimer une protestation vis-à-vis du jeu politique. En cela, les abstentionnistes "sociologiques" sont davantage "hors du jeu" politique, quand les votes blancs ou nuls sont davantage "dans le jeu" et plus proches de la seconde composante de l’abstention, plus politique, puisqu’ils acceptent de participer.
Même si l’on dispose de très peu de données d’enquêtes empiriques sur cette question, on peut faire l’hypothèse que le vote nul relève d’une démarche différente du vote blanc : les votes nuls témoigneraient davantage d’une forme de rejet de l’offre électorale (on se rend au bureau de vote mais on écrit sur son bulletin, on le déchire, ou on le rature, par exemple) ; les votes blancs, en revanche, seraient davantage le fait d’une frange de citoyens plus politisés et exprimant un doute ou une perplexité face à l’offre politique, renvoyant les deux candidats qualifiés pour le second tour dos à dos.
Alors, doit-on compter comme des suffrages exprimés tous ces bulletins blancs et nuls ?
C’est une question compliquée. Au départ, cela peut paraître comme étant une belle idée, et c’est une revendication formulée par plusieurs associations ou mouvements politiques. Le Conseil constitutionnel a toutefois déjà pointé les problèmes techniques que soulèverait le fait de compter les votes blancs et nuls comme des suffrages exprimés.
Tout d’abord, il y a le fait que dans l’ensemble des votes blancs et nuls, il y a des démarches très différentes, qui sont parfois aux antipodes les unes des autres. Par exemple, un vote blanc traduit-il une neutralité ou une hostilité vis-à-vis des candidats ?
Cependant, on pourrait rétorquer que derrière le vote pour tel ou tel candidat, il peut y avoir également des significations très différentes.
D’autre part, un autre problème de taille se pose. On imagine difficilement un candidat ou un parti gagner aujourd’hui au premier tour une élection, à la majorité absolue (soit 50% des voix +1). En revanche, si l’on comptabilisait les votes blancs et nuls, on se trouverait potentiellement dans la possibilité qu’aucun des candidats du deuxième tour ne dispose de cette fameuse majorité absolue.
C’est d’ailleurs un argument qu’utilise ces jours-ci l’UMP pour relativiser la légitimité de François Hollande : effectivement, si l’on additionne les bulletins blancs et nuls aux suffrages pour Nicolas Sarkozy, les votes exprimés en faveur de François Hollande font alors moins de 50%... Ce raisonnement compliqué ne peut sérieusement être considéré pour contester la légitimité du vainqueur.
Une solution pourrait être déjà de comptabiliser à part les votes blancs et nuls, hors des suffrages exprimés, mais aussi hors des abstentions, et de les indiquer à part dans les résultats. Ces questions sont sérieuses et techniques, elles devraient faire l’objet d’une large consultation des forces politiques et des spécialistes des mécanismes électoraux.
Propos recueillis par Maxime Bellec