décembre 10, 2024

LES MOTIVATIONS DES BULLETINS BLANCS ET NULS DANS LES DEMOCRATIES D’AMERIQUE LATINE

Extrait:

Pour expliquer l’émergence et le succès des campagnes de vote nul, je présente d’abord un cadre permettant de comprendre les bulletins gâchés lors des élections présidentielles comme un outil que les électeurs mécontents et habituels utilisent pour exprimer leur mécontentement à l’égard des candidats proposés. En partant de cette compréhension du comportement des votes invalides lorsqu’ils ne sont pas mobilisés, je déduis des attentes concernant le comportement des électeurs lorsqu’ils sont mobilisés. Je soutiens que les campagnes de vote invalide devraient répondre à la qualité de la démocratie, émerger plus souvent et obtenir plus de succès électoral lorsqu’un recul démocratique s’est produit et qu’aucune des options n’a de solides références démocratiques. La participation à des campagnes de promotion du vote invalide est donc un outil de dernier recours pour les démocrates engagés qui veulent exprimer leurs inquiétudes quant à la faiblesse des élections tout en exprimant une préférence pour une démocratie de haute qualité.

J’évalue ces arguments à l’aide de données provenant d’élections exécutives en Amérique latine. Étant donné que les taux de votes nuls en Amérique latine sont les plus élevés au monde (IDEA 2022) et que des campagnes de promotion du vote nul ont émergé dans toute la région depuis les premières transitions démocratiques du XXe siècle, il s’agit de la région idéale pour développer et tester des arguments généraux sur la nature des campagnes de votes nuls.

Au XXIe siècle, des dirigeants politiques illibéraux démocratiquement élus de gauche et de droite ont utilisé des moyens apparemment légaux pour saper la démocratie, affaiblissant les contrôles des autres branches du gouvernement, proscrivant les partis d’opposition et faisant taire la dissidence (Bermeo 2016 ; Levitsky et Ziblatt 2018 ; Schedler 2002). Compte tenu de cette récession démocratique mondiale (Lührmann et Lindberg 2019), il est urgent de comprendre comment et dans quelles circonstances les citoyens utilisent différents outils pour répondre au déclin de la qualité démocratique. Des études récentes montrent que les Latino-Américains, de plus en plus déçus par le décalage entre les promesses des politiciens et les résultats des politiques, adoptent une série de comportements pour exprimer leur mécontentement et améliorer la gouvernance. Les citoyens sont descendus dans la rue pour exprimer leur mécontentement à l’égard de la politique (Boulding 2014 ; Moseley 2018), ont élu des populistes et des candidats anti-establishment (Carreras 2012 ; Weyland 2020), ont soutenu des procédures de destitution pour révoquer des titulaires peu qualifiés (Pérez Liñán 2007) et ont plaidé en faveur d’une réforme constitutionnelle (Corrales 2018) pour tenter d’améliorer leurs démocraties. Pourtant, la qualité démocratique décline souvent à la suite de telles manifestations à l’échelle de la société. Je montre que le vote invalide suit une dynamique distincte. Comme pour d’autres formes de protestation, le vote invalide est plus courant lorsque la démocratie est en déclin. Les élites politiques stratégiques et les acteurs de la société civile sont plus susceptibles de tenter de mobiliser le vote invalide dans de tels moments, à la recherche soit d’un gain politique personnel, soit d’un changement politique. Toutefois, les campagnes de votes invalides ont rarement pour conséquence un déclin démocratique. Au contraire, elles peuvent améliorer la qualité de la démocratie à court terme.