mai 3, 2024

Débat au sénat sur le vote blanc

SEANCE DU 7 FEVRIER 2001


M. le président. Par amendement n° 9, M. Haenel, Mme Brisepierre, MM. Caldaguès, Debavelaere, Descours, Gruillot, Goulet, Hamel, Jourdain, Le Grand, Murat, Rufin et Vasselle proposent d’insérer, après l’article 2, un article additionnel ainsi rédigé :
« Il est inséré, après le premier alinéa de l’article L. 58 du code électoral, un alinéa ainsi rédigé :
« Il sera mis à la disposition des électeurs des bulletins blancs du même format que les bulletins des candidats. Le maire doit recevoir et tenir à la disposition des électeurs ces bulletins blancs, sur cette même table, pendant toute la durée du vote. »
Cet amendement est assorti d’un sous-amendement n° 31, présenté par M. Gélard, et tendant, dans le texte proposé par l’amendement n° 9, à remplacer (deux fois) le mot : « blancs » par les mots : « contre tous les candidats ».
La parole est à M. Descours, pour défendre l’amendement n° 9.
M. Charles Descours. Cet amendement n° 9 a pour objet, lors des scrutins d’élections politiques, de prendre en compte les votes blancs comme suffrages exprimés. C’est un débat qui a lieu dans nos hémicycles depuis longtemps. Beaucoup de propositions de loi ont été déposées en ce sens.
Lors du référendum du 24 septembre 2000, on a observé une montée du vote protestataire. Néanmoins, le qualificatif de « protestataire » ne peut pas constituer une certitude tant qu’il n’existe pas une manière spécifique de le manifester ; c’est d’ailleurs préjudiciable à une bonne analyse du fonctionnement de la démocratie, comme de nombreux collègues l’ont souligné, le vote protestataire étant susceptible de mal recouvrir une situation plus profonde. Il est d’autant plus dangereux que se banalise et se pérennise un vote extrémiste sous bannière protestataire, dont, en réalité, nous ne tenons pas compte.
Les votes blancs ne sont pas considérés comme des suffrages exprimés, alors que, dans l’esprit des électrices et des électeurs qui font la démarche d’aller voter, il en est tout autrement. Ces électeurs et électrices émettent bien un vote protestataire contre les candidats en présence. C’est la raison pour laquelle il n’est pas admissible qu’un vote blanc soit assimilé à un vote nul.
Comptabiliser le vote blanc au même titre qu’un vote d’adhésion, c’est se donner le moyen de mesurer la tendance du vote protestataire, atténuer le problème de l’abstention, réduire l’importance du vote extrémiste. Enfin, c’est le moyen de reconnaître les électeurs dans leur diversité et, ainsi, de prendre en compte l’expression d’une volonté et d’un choix.
Au regard du suffrage universel, il est important que le vote de l’ensemble des électeurs qui se présentent au bureau de vote soit pris en compte. Ils ont fait l’effort de s’y rendre et montrent ainsi leur intérêt en effectuant cet acte civique.
M. le président. La parole est à M. Gélard, pour défendre le sous-amendement n° 31.
M. Patrice Gélard. Le bulletin blanc n’a pas grande signification en soi.
M. Jean-Jacques Hyest. C’est bien vrai !
M. Patrice Gélard. En revanche, dans un certain nombre d’Etats, a été imaginée une autre formule qui me paraît beaucoup plus positive : c’est le bulletin « contre tous les candidats ».
M. Jean-Jacques Hyest. C’est en Russie !
M. Patrice Gélard. Cette mesure existe notamment en Russie, effectivement, où, lors des dernières élections, un certain nombre de bulletins ont été délivrés contre tous les candidats.
Cette formule, qui a également été mise en oeuvre en Pologne et dans d’autres pays, est intéressante. En effet, elle est différente de l’abstention ou du bulletin nul, auquel s’apparente le bulletin blanc. Le bulletin contre tous les candidats exprime en réalité un désaccord profond. Si ces bulletins l’emportent, cela signifie qu’il faut recommencer l’élection.
C’est la raison pour laquelle je défends ce sous-amendement, qui permet de donner une signification beaucoup plus importante au bulletin blanc qu’il n’en a à l’heure actuelle.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 9 et sur le sous-amendement n° 31 ?
M. Christian Bonnet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. La commission a longuement étudié cette affaire, qui ne date d’ailleurs pas d’hier. Je l’ignorais, je le confesse, mais la première fois qu’a été prévue l’absence de comptabilisation des votes blancs, c’est dans un décret du mois de février 1852 ; ensuite, elle a été reprise dans une loi du 29 juillet 1913.
De très nombreuses propositions de loi portant sur cette question ont été déposées. Nos collègues MM. Joly, Poniatowski, Haenel ont tour à tour marqué leur intérêt pour la prise en compte du vote blanc. A l’Assemblée nationale, Thierry Cornillet, Dominique Paillé et, après les élections européennes de 1999, Laurent Fabius lui-même, alors président de l’Assemblée nationale, s’étaient prononcés en faveur de la comptabilisation des votes blancs.
Qui plus est, François Bayrou a également pris position dans le même sens.
M. Louis de Broissia. C’est un allié !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Ce débat resurgit après chaque consultation électorale marquée par un pourcentage élevé de votes blancs. Il existe même – mais n’existe-t-il pas une association pour toute chose aujourd’hui – une association « pour la reconnaissance du vote blanc ».
Bref, ce débat est très important, et il convient de peser soigneusement les avantages et les inconvénients d’une telle formule.
Les partisans de ce système font à juste titre valoir que le comportement de l’électeur qui se déplace pour aller voter n’a rien à voir avec celui de l’électeur qui reste chez lui parce qu’il ne veut pas se rendre dans un bureau de vote. Il peut paraître normal que les deux comportements ne soient pas assimilés.
Un sondage de 1998 – un de plus ! – a montré que 70 % des Français étaient favorables à une meilleure prise en compte du vote blanc. M. Jérôme Jaffré, politologue bien connu, avait commenté ce sondage en disant que la question qui se posait était de savoir s’il vaut mieux reconnaître le vote blanc comme exutoire civique ou attendre que la protestation emprunte des chemins qui pourraient se révéler plus dangereux.
Néanmoins, bien des questions se posent !
Un bulletin blanc – le président Badinter a dit hier en commission que c’était une affaire de mobile – peut être interprété de plusieurs manières. Ce peut être un souci de marquer sa neutralité, la préoccupation de souligner une déception, la manifestation d’un rejet.
L’objet fondamental d’une consultation électorale est de désigner des élus pour exercer un mandat. Les bulletins blancs ne s’inscrivent pas dans cet objet essentiel d’un scrutin. Il convient surtout de mesurer les effets que pourrait avoir – c’est là l’essentiel de l’affaire – la prise en compte des votes blancs parmi les suffrages exprimés. Mais qui a vraiment réfléchi à cette question ? Moi le premier, je ne l’avais pas fait avant d’être en charge de ce rapport.
D’une manière générale, la prise en compte aurait pour effet d’élever les seuils à partir desquels des maintiens au second tour sont possibles. Je rappelle brièvement quels sont ces seuils : pour les législatives, 12,5 % par rapport aux électeurs inscrits pour le maintien au second tour ; pour les cantonales, 10 % de ces mêmes électeurs inscrits pour le maintien au second tour ; pour les municipales, 10 % des suffrages exprimés pour le maintien au second tour, 5 % pour la fusion, 5 % pour la répartition des sièges ; pour les régionales, enfin, 5 % des suffrages exprimés pour le maintien au second tour, 3 % pour la fusion, 3 % pour la répartition des sièges.
Cette réforme n’aurait que peu d’effets sur les élections à la représentation proportionnelle, les bulletins blancs ne pouvant entraîner l’attribution de sièges à une liste qui n’existe pas.
Pour les élections au scrutin majoritaire à deux tours, en revanche, le décompte des bulletins blancs aurait pour effet d’élever le chiffre de la majorité absolue ; l’élection d’un candidat au premier tour deviendrait dès lors tout à fait aléatoire, et la prise en compte du vote blanc viendrait toujours jouer à l’encontre du candidat arrivé en tête au premier tour.
De plus, la prise en compte du vote blanc pourrait avoir de très graves conséquences, puisqu’un candidat ne peut être élu au second tour que s’il obtient la majorité des suffrages exprimés. Si le vote blanc représente la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour, ou la majorité relative au second, aucun candidat ne pourrait être proclamé élu.
Mais il y a pire, monsieur le ministre, mes chers collègues !
En ce qui concerne l’élection du Président de la République, l’article 7 de la Constitution prévoit que le Président est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés – j’insiste bien – sur ce terme. Au second tour, si les bulletins blancs étaient comptabilisés parmi les suffrages exprimés, il serait tout à fait possible qu’aucun candidat n’obtienne la majorité absolue des suffrages exprimés. Dès lors, nous serions dans une situation bien pire que celle dans laquelle viennent de se trouver les Etats-Unis !
Pour les référendums, la prise en compte des bulletins blancs parmi les suffrages exprimés pourrait également avoir des conséquences paradoxales. Un projet n’est en effet adopté que s’il recueille la majorité des suffrages et, pour qu’un texte soit adopté, il faudrait que le « oui » l’emporte sur le « non » et sur les blancs réunis.
L’on voit donc que la question du vote blanc, pour importante qu’elle soit, mérite une réflexion très approfondie qui ne peut trouver sa place dans un débat comme celui qui nous occupe depuis quelques semaines.
Il ne faudrait pas, en effet, que la prise en compte du vote blanc paralyse le fonctionnement de la démocratie au lieu de responsabiliser le personnel politique.
Quant au sous-amendement n° 31 de M. Gélard, je dirai tout de go qu’il me paraît certes intéressant, mais dangereux, car la formule proposée est de nature à intéresser beaucoup de nos compatriotes dans le climat actuel, ce qui ne me paraît pas souhaitable.
En bref, la commission, sensible à cette argumentation, a donné un avis défavorable sur l’amendement n° 9 et sur le sous-amendement n° 31. En fait, elle n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur ce sous-amendement, et j’ai pris sur moi de conclure en son nom ; je m’en excuse auprès des membres de la commission qui pourraient être présents dans l’hémicycle.
M. Jean-Jacques Hyest. Cela paraît logique !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Je vous remercie de le dire, monsieur Hyest.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 9 et sur le sous-amendement n° 31 ?
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Outre les observations pertinentes de M. le rapporteur, je précise que l’objet de cette proposition de loi n’est pas de réformer l’ensemble des opérations relatives au scrutin et, donc, d’aborder la question du vote blanc, qui constitue à l’évidence un « cavalier » législatif.

J’ajoute que la question de la prise en compte ou non du vote blanc relève de la loi ordinaire et non pas de la loi organique.
M. Jean-Pierre Raffarin. Qui peut le plus peut le moins !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Ces deux raisons me conduisent à émettre un avis défavorable sur l’amendement n° 9 et sur le sous-amendement n° 31.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Le Conseil constitutionnel n’admet pas qu’à l’occasion d’une loi ordinaire le Parlement prenne une disposition intéressant la loi organique, mais il admet le contraire !
M. Henri de Raincourt. Qui peut le plus peut le moins !
M. le président. Je vais mettre aux voix le sous-amendement n° 31.
M. Nicolas About. Je demande la parole contre le sous-amendement.
M. le président. La parole est à M. About.
M. Nicolas About. Sur le principe, je serais tenté de soutenir le sous-amendement. Mais je suis gêné, car je crains, comme l’a dit M. le rapporteur, que, dans l’ambiance actuelle, cette disposition ne rejoigne l’ ostracon des Anciens, dont Epictète disait qu’il était le moyen donné aux faibles d’humilier les puissants. (Très juste ! sur les travées des Républicains et Indépendants.)
Evitons peut-être, quelques siècles plus tard, de commettre la même erreur, même si nous avons des raisons d’essayer de donner un peu de force à un droit de refus envers de mauvais candidats. Je redoute la dérive.
M. Jean Chérioux. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. A l’évidence, la proposition de M. Gélard est intéressante : elle pose bien le problème des bulletins blancs, et Dieu sait que le vote blanc, lors des dernières votations, a joué un rôle important. Ainsi, à l’occasion du dernier scrutin européen, le nombre de votes blancs a dépassé celui des suffrages recueillis par le parti communiste !
M. Nicolas About. Ce n’est pas forcément énorme ! (Sourires.)
M. Jean Chérioux. Certes, mais la question mérite d’être examinée : puisque les votes pour le parti communiste ont de l’importance, les votes blancs aussi ! (Nouveaux sourires.)
Cela dit, la proposition de M. Gélard est gênante dans la mesure où elle porte en elle une consonance d’antiparlementarisme : à l’évidence, être contre tout le monde, ce n’est pas une position.
J’aurai du mal à la retenir.
Mais il est un point sur lequel je souhaiterais qu’on réfléchisse : s’il est difficile de comptabiliser le vote blanc lorsqu’il s’agit d’une élection, il en va tout autrement lorsqu’il s’agit d’un référendum. Certains pays établissent d’ailleurs la distinction.
Il n’est pas normal de considérer qu’un référendum est un succès lorsque plus de la moitié de la population a émis des votes blancs ou négatifs.
Bien entendu, nous n’allons pas régler cette question aujourd’hui, car elle est beaucoup trop importante. Mais je me permets, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, d’attirer votre attention sur ce problème.
Je n’aurai pas la cruauté de parler de consultations récentes, mais je constate qu’un texte adopté avec l’assentiment d’une minorité de Français manque de poids vis-à-vis de l’ensemble de la nation. On pourrait corriger cette situation. (M. Vasselle applaudit.)
M. Louis de Broissia. C’est une très bonne réflexion !
M. Gérard Cornu. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Cornu.
M. Gérard Cornu. M. le rapporteur nous a expliqué combien il était défavorable à l’amendement sur les bulletins blancs, mais il n’a pas exposé sa position par rapport aux bulletins « contre tous les candidats ».
Je voudrais, à ce propos, lui poser une question. Si nous adoptions ce sous-amendement proposant de créer un bulletin contre tous les candidats, que se passerait-il au deuxième tour ? Nous sommes dans un scrutin uninominal à deux tours : deux candidats restent en lice pour le deuxième tour et une dizaine de candidats ne peuvent pas concourir ; imaginez que ces candidats qui ne peuvent pas concourir au deuxième tour appellent, tous ensemble, à choisir le bulletin « contre tous les candidats » ; ces votes « contre tous les candidats » pourraient alors être majoritaires par rapport à ceux qui se sont portés sur les candidats en tête au premier tour. (M. Chérioux s’exclame.)
Une telle situation serait intenable. Je souhaite donc recevoir, monsieur le rapporteur, des explications complémentaires.
M. Alain Gournac. Bel argument !
M. Jean-Jacques Hyest. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Des idées intéressantes sont dans l’air du temps. En plus, on a l’impression de faire plaisir à certains en disant : un certain nombre d’électeurs ne se sentent pas forcément bien dans l’offre politique qui leur est proposée…
M. Henri de Raincourt. Pourtant, elle est large !
M. Jean-Jacques Hyest. Elle est pourtant large et multiple, effectivement !
Je ne veux pas citer d’exemple parce que ce serait désagréable à l’égard de certains et parce que je suis sûr que, parfois, ce sont les bulletins « contre tous les candidats » qui gagneraient, et qu’il n’y aurait pas d’élus !
M. Nicolas About. Cela demande un changement de nom !
M. Jean Chérioux. C’est une candidature virtuelle.
M. Jean-Jacques Hyest. Je comprends que, dans certains systèmes où les candidatures officielles étaient la règle – à l’est de l’Europe pendant un certain temps – on ait pu considérer que s’opposer aux candidats officiels, ou être contre tous les candidats, avait une signification politique.
M. Louis de Broissia. C’est encore un peu le cas !
M. Jean-Jacques Hyest. Certes ! Mais pas dans notre pays.
L’observation de notre collègue Gérard Cornu est pertinente. On pourrait recommencer dix fois l’élection, on n’aboutirait pas pour autant !
Or, le fondement de la démocratie est la liberté de présentation des candidatures et la liberté de choix entre les candidats ! C’est ainsi, heureusement, depuis que la démocratie existe, le cas du référendum étant à part, mais nous y reviendrons peut-être au moment de la mise aux voix de l’amendement n° 9.
Cependant, l’amendement ne résiste pas, lui non plus, à l’examen tout à fait pertinent qu’en a fait M. le rapporteur.
Il y a parfois de fausses bonnes idées qui traînent, jusqu’au jour où on les creuse, où on les approfondit. On s’aperçoit alors que ce n’étaient pas de bonnes idées.
J’attire votre attention sur ce point, mes chers collègues : il y a quelquefois des textes qui sont votés, dont on croit qu’ils vont dans le sens de la démocratie, alors qu’il vont, à mes yeux, exactement dans le sens inverse. Que l’on réfléchisse bien avant de se lancer dans des perspectives qui font plaisir !
M. Nicolas About. Le changement de calendrier !
M. Jean-Jacques Hyest. Les sondages y incitent, mais on peut s’apercevoir ensuite que ces dispositions ne mènent à rien. Je crois qu’il vaut mieux alors les abandonner et ne plus en parler.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Patrice Gélard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Par le biais de ce sous-amendement, j’ai voulu mettre le doigt sur quelque chose qui fait mal.
Lors du dernier référendum,…
M. Philippe Marini. Il n’a pas été brillant !
M. Patrice Gélard. … nombre de nos concitoyens se sont abstenus, sont partis pêcher à la ligne, ou ont voté pour des formations extrémistes, désavouant ainsi l’ensemble de notre classe politique.
Je rappelle que c’est sur ces bases que la IVe République est née, et que le général de Gaulle disait, à propos de la constitution de 1946 : « Un tiers l’a adoptée, un tiers l’a refusée, un tiers l’a ignorée. »
Nous sommes en train de nous engager dans cette voie-là : à chacune de nos élections, un tiers de nos concitoyens ignorent la représentation nationale, avec tous les effets pervers que cela induit. Et les lois que le Parlement vote, les décisions que le Gouvernement prend sont contestées dans la rue, par les camionneurs, les cheminots, les conducteurs du métro… Chaque fois que certains sont mécontents, ils descendent dans la rue et contestent la représentation nationale.
On ne peut pas continuer ainsi. Il faut trouver une solution pour que nos concitoyens se reconnaissent dans les résultats des élections. A défaut, nous nous orienterons vers un système où, comme sous la IVe République, le Gouvernement représente en réalité moins de 25 % des citoyens.
M. Alain Gournac. Absolument !
M. Patrice Gélard. On ne peut pas continuer dans cette voie-là.
M. Alain Gournac. En effet !
M. Patrice Gélard. Il est nécessaire de prendre en compte l’attitude de nos concitoyens dans l’isoloir.
Je reconnais que le sous-amendement que j’ai déposé est quelque peu provocateur. Mais je pense que le problème nous interpelle tous : Gouvernement, majorité, opposition. On ne peut plus tolérer qu’à l’heure actuelle nos concitoyens contestent à la représentation nationale sa représentativité.
Au demeurant, je vais faire preuve de consensualisme, monsieur le rapporteur : je ne vais pas insister.
M. Christian Bonnet, rapporteur. J’allais vous le demander !
M. Patrice Gélard. Ce que je voulais, c’est poser le problème. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Je retire donc mon amendement. Mais le débat est ouvert, et il faudra tôt ou tard le reprendre. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. Le sous-amendement n° 31 est retiré.
Je vais mettre aux voix l’amendement n° 9.
M. Jean-Jacques Hyest. Je demande la parole contre l’amendement.
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Je suis désolé d’être contre, parce qu’il s’agit d’une idée sympathique. Mais peut-être pourrait-on se poser des questions.
M. Hilaire Flandre. Posons surtout celles qui intéressent les gens !
M. Jean-Jacques Hyest. Lorsqu’on est obligé de voter pour des candidats inscrits sur une liste unique, on vote pour la tête de liste mais on ne vote pas pour les autres.
M. Louis de Broissia. Eh oui !
M. Hilaire Flandre. C’est une régression !
M. Nicolas About. C’est une vraie règle européenne !
M. Jean-Jacques Hyest. On en voit le résultat pour les élections régionales. Aujourd’hui, personne ne connaît ses conseillers régionaux.
M. Alain Gournac. Comment pouvez-vous dire cela ?
M. Jean-Jacques Hyest. Mais si, mon cher collègue !
M. Jean-Pierre Raffarin. Ce n’est pas possible de dire cela ! Ce n’est pas vrai en tout cas pour la Bretagne !
M. Jean-Jacques Hyest. Sauf peut-être pour la Bretagne ! (Sourires.) Mais on pourrait citer d’autres régions où c’est ainsi. D’ailleurs, je ne suis pas sûr que les actuels présidents de région soient satisfaits du mode de scrutin.
M. Jean-Pierre Raffarin. Ça, c’est exact !
M. Jean-Jacques Hyest. Je disais donc que l’on connaît les présidents et les têtes de liste. Il est moins sûr que soit bien identifiée la suite de la liste.
Il y a là un vrai problème parce qu’on n’a pas l’impression que, dans ce cas, les électeurs choisissent, alors que, lorsqu’ils choisissent leur conseiller général, ils ont vraiment l’impression de choisir quelqu’un. C’est la même chose pour les députés.
M. Nicolas About. Très bien !
M. Jean-Jacques Hyest. S’agissant des sénateurs, qui sont élus à la proportionnelle, le problème n’est pas le même parce que ne sont concernés qu’un petit nombre d’électeurs.
Je le répète, un vrai problème se pose.
En ce qui concerne le vote blanc, j’ai l’impression que le problème n’est posé dans aucune des grandes démocraties.
M. Louis de Broissia. Absolument !
M. Jean-Jacques Hyest. On tolère très bien aux Etats-Unis, même si on le regrette, que plus de la moitié des électeurs ne se prononcent pas.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Exactement !
M. Nicolas About. Il a raison !
M. Jean-Jacques Hyest. Et chacun estime que le président des Etats-Unis, même avec des difficultés de décomptes des voix, est légitime.
M. Louis de Broissia. Il est élu !
M. Jean-Jacques Hyest. Dans nos pays également, il arrive que des candidats soient élus avec une minorité de voix. Quand il y a une élection, il faut bien désigner un candidat, et se trouve élu celui qui a obtenu le plus de voix. Je ne vois pas comment on peut faire autrement.
On nous propose aujourd’hui de mettre à la disposition des électeurs des bulletins blancs. Mais, mes chers collègues, ceux qui veulent voter blanc savent très bien comment faire : ils utilisent leur propre papier blanc ou ils mettent dans l’urne une enveloppe sans bulletin, ce qui revient au même.
La proposition qui nous est faite me paraît donc critiquable. Même si l’idée est bonne au départ, il me semble extrêmement dangereux de vouloir procéder au décompte des bulletins blancs sans prendre en compte toutes les conséquences qui en résulteraient et que M. le rapporteur a pourtant fort bien exposées.
Quel est pour vous l’intérêt du décompte du vote blanc ? S’il n’y en a aucun…
M. Nicolas About. Si ! Le vote blanc est exprimé !
M. Jean-Jacques Hyest. Oui, et alors, quelles conséquences donnez-vous à cela ? Aucune !
M. Nicolas About. On va le dire tout à l’heure !
M. Jean-Jacques Hyest. Pour ma part, je pense que c’est une erreur : au lieu de renforcer la démocratie comme vous le prétendez, vous ne ferez que l’affaiblir un peu plus en reconnaissant qu’un certain nombre de personnes se désintéressent de la vie publique.
Il y a bien d’autres sujets fondamentaux…
M. Jacques Machet. Tout à fait !
M. Jean-Jacques Hyest. … sur lesquels l’ensemble de la classe politique devrait s’interroger pour ouvrir un débat véritable sur l’avenir du politique et renforcer le sentiment de citoyenneté dans notre pays.
En tout cas je ne crois pas que la crise du politique puisse se résoudre par des mesures comme celle qui nous est proposée. Au contraire, on l’aggrave. (M. Machet applaudit.)
M. Guy Cabanel. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Cabanel.
M. Guy Cabanel. Je tiens à intervenir en faveur de l’amendement n° 9.
En fait, l’amendement n° 9 et le sous-amendement n° 31 ne me semblent pas complémentaires. Je pense que le sous-amendement n° 31 ne vise pas le vote blanc. Ce qu’il propose s’apparenterait plutôt à certains votes qui ont lieu dans des académies où la croix apposée sur un bulletin exclut le candidat qui est présenté.
Le retrait de ce sous-amendement est une bonne chose, et je félicite M. Gélard d’y avoir procédé. En revanche, je me sens le devoir de défendre l’amendement n° 9. Tout d’abord, parce qu’il est identique au texte d’une proposition de loi déposée par mon collègue Bernard Joly, ensuite parce que le parti radical valloisien avait souhaité le vote blanc comme, cela a été rappelé.
Je dois dire que l’amendement n° 9 est très bien rédigé. Son exposé des motifs ne correspond d’ailleurs pas à son libellé. En effet, quand on dit : « Il sera mis à la disposition des électeurs des bulletins blancs du même format que les bulletins des candidats. Le maire doit recevoir et tenir à la disposition des électeurs ces bulletins blancs, sur cette même table, pendant toute la durée du vote », on ne parle pas des conséquences qui peuvent être très grandes ou minimes suivant la voie choisie.
Pour ma part, j’estime que celui qui veut faire le geste de voter, mais qui considère que les candidats en présence ne peuvent valablement le représenter, a le droit de trouver au bureau de vote un bulletin blanc qui lui permette d’exprimer son opinion. Il n’aura pas à apporter un bulletin découpé à la maison ; il n’aura pas à raser les murs ni à avoir honte. La démocratie doit permettre à chacun de s’exprimer.
Venons-en aux conséquences du vote blanc. L’amendement n° 9 ne tranche pas le problème. Si l’on s’en tient uniquement à son libellé, il ne fait que consacrer l’existence, sur les tables d’élection, du bulletin blanc. Pour l’heure, il n’est pas indiqué que le vote blanc est comptabilisé dans les suffrages exprimés.
Ceux qui seront élus disposeront ainsi d’un élément d’appréciation. Ils prendront conscience du fait que, même s’ils ont réuni la majorité des suffrages exprimés, ce vote manifeste une forte insatisfaction de leurs concitoyens, ce qui les amènera sans doute à réfléchir.
Je pense donc que nous pourrions entrouvrir la porte au vote blanc par l’adoption de cet amendement n° 9. Certes, il constitue un cavalier dans le texte dont nous discutons, mais ce cavalier nous permet de débattre d’un sujet dont nous n’avons pu nous saisir jusqu’à maintenant.
En conséquence, je voterai l’amendement n° 9 sans aucune hésitation, estimant rendre ainsi service à la démocratie. (M. Jean-Jacques Hyest marque sa désapprobation.)
Non, mon cher ami, cette disposition ne gênera en rien la désignation d’un élu. Elle ne mettra absolument pas en cause le deuxième tour de l’élection présidentielle.
Je le répète, je voterai ce texte, en considérant qu’il sert la démocratie française. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Christian Bonnet, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Bonnet, rapporteur. A ce moment du débat, je crois de mon devoir d’intervenir à nouveau, parce que, par ma maladresse, sans doute, je me suis mal fait comprendre.
J’ai sans doute mal exposé l’argumentation qui a amené la commission des lois à souhaiter le retrait d’un amendement dont je précise d’emblée qu’il n’est nullement un cavalier.
Un certain nombre de nos collègues, parmi les plus éminents, qui n’étaient pas présents au moment où je me suis exprimé, se trouvant maintemant dans l’hémicycle, je vais reprendre ma démonstration. (M. Josselin de Rohan approuve.)
M. Philippe Marini. Bien volontiers !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Un bulletin blanc peut être interprété de différentes façons, ce que M. Badinter appelait « les mobiles ». Ils peuvent traduire un souci de neutralité, marquer une déception, signifier un rejet.
Il convient surtout en cet instant de mesurer les effets que pourrait avoir la prise en compte des votes blancs parmi les suffrages exprimés.
Je souligne d’emblée que je ne les avais pas tous mesurés, et de loin, avant d’examiner cette question en temps que rapporteur. C’est la raison pour laquelle, à certains égards, j’étais, alors, plutôt favorable à cette idée de vote blanc. Mais, en creusant un peu la question, en allant en profondeur, pour reprendre les propos du président Raffarin, on s’aperçoit que la prise en compte de tels votes aurait pour effet – êtes-vous tentés, mes chers collègues, d’en arriver là ? – d’élever les seuils à partir desquels les maintiens au second tour sont possibles. Les ayant rappelés tout à l’heure, je ferai l’économie de leur citation pour ne pas allonger le débat.
S’agissant des élections à la représentation proportionnelle, la réforme aurait un effet minime, voire quasiment nul.
Pour les élections au scrutin majoritaire à deux tours, le décompte des bulletins blancs élèverait le chiffre de la majorité absolue, écartant à peu près certainement l’élection au premier tour du candidat arrivé en tête. De toute façon, la prise en compte des votes blancs jouerait toujours en défaveur du candidat arrivé en tête.
De plus, elle pourrait avoir de très graves conséquences dans la mesure où un candidat ne peut être élu au second tour que s’il obtient la majorité des suffrages exprimés. Si les votes blancs atteignaient la majorité absolue au premier tour ou la majorité relative au second tour, aucun candidat ne pourrait être proclamé élu. Or, en démocratie, l’objectif d’un scrutin est bien de parvenir à la désignation d’un candidat.
En ce qui concerne – plus grave – l’élection présidentielle, il faut rappeler que l’article 7 de la Constitution prévoit que le Président est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés. Au second tour, si les bulletins blancs étaient comptabilisés parmi les suffrages exprimés, il serait tout à fait possible, surtout en l’état actuel de l’opinion, qu’aucun candidat n’obtienne la majorité absolue des suffrages. Nous nous trouverions alors, comme je l’indiquais tout à l’heure, dans une situation encore plus délicate – et le mot est faible ! – que celle qu’ont connue les Etats-Unis voilà quelques semaines.
Pour les référendums, la prise en compte des bulletins blancs parmi les suffrages exprimés pourrait également avoir des conséquences tout à fait paradoxales. Un projet n’est en effet adopté que s’il obtient la majorité des suffrages. Pour qu’un texte soit adopté, il faudrait donc que les « oui » l’emportent sur les « non » et les « blancs » réunis.
C’est la raison pour laquelle, s’il s’agit, comme l’a très bien dit le doyen Gélard, d’un véritable problème, qui méritait d’être posé comme il l’a été par un grand nombre de nos collègues, il apparaît difficile, au détour d’un débat comme celui qui nous réunit aujourd’hui, de prétendre le régler en un tournemain.
M. Charles Descours. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Descours.
M. Charles Descours. Monsieur le rapporteur, je me permets de vous faire observer, avec tout le respect que je vous dois, que c’est sur l’amendement n° 10 que vous vous êtes exprimé. Car il ne vous a pas échappé que l’amendement n° 9 ne tend pas au « décompte » des bulletins blancs : il ne vise que la « mise à disposition » de tels bulletins. C’est l’amendement n° 10 qui vise à ce qu’ils soient décomptés, mais nous ne l’avons pas encore défendu.
J’arrêterai ma décision finale lorsque j’aurai écouté mes collègues s’expliquer sur cet amendement n° 9.
Quoi qu’il en soit, je suis très heureux que ce débat ait lieu, car il s’agit d’une question qui est soulevée depuis de nombreuses années dans notre pays ; le nombre de propositions de lois relatives aux bulletins blancs qui ont été déposées, et dans les deux assemblée, en témoigne.
En vérité, je ne serais pas mécontent que les députés débattent de cette disposition, ce qui implique que cet amendement soit voté. En effet, des députés appartenant à différents groupes ayant déposé des propositions de loi tendant au décompte des bulletins blancs, je serais curieux de voir si tel groupe de l’Assemblée nationale qui a pris une initiative de cette nature s’opposerait à une proposition en ce sens qui lui serait soumise.
Mais cette intervention avait essentiellement pour objet de préciser que, dans l’amendement n° 9, nous nous contentons de prévoir la mise à disposition de bulletins blancs.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Je dirai d’abord à notre estimé collègue Charles Descours que, dans un souci de concision qui m’apparaît a priori souhaitable à ce stade du débat, j’avais souhaité m’exprimer sur les trois amendements, bien qu’ils ne soient pas en discussion commune, j’en conviens.
Mais j’observe surtout que les premières lignes de l’exposé des motifs de l’amendement n° 9 démentent ce que vient de dire M. Descours : « Cet article additionnel a pour objet, lors des scrutins d’élections politiques, de prendre en compte les votes blancs comme suffrages exprimés. »
M. Jean-Pierre Raffarin. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin. Je suis très intéressé par ce débat, mais j’en mesure la complexité. Il y a un élément qui m’intéresse beaucoup dans l’argumentation de M. Bonnet, c’est celui qui concerne l’élévation des seuils. Mon regard est, en l’occurrence, celui, quelque peu spécifique, de l’élu régional.
Ce gouvernement n’a fait, depuis qu’il est installé, que s’attaquer à toutes les lois électorales,…
MM. Josselin de Rohan et Alain Gournac. Toutes !
M. Jean-Pierre Raffarin. … plus ou moins discrètement, mais en usant toujours de manoeuvres. Il a, en particulier, fait adopter une loi scandaleuse sur les élections des conseils régionaux, permettant tous les accords et autorisant le maintien au second tour avec 3 % des voix, s’assurant que, avec un tel seuil, les Verts, les Rouges et toutes les couleurs pourraient venir étoffer la majorité plurielle !
L’élévation du seuil en ce qui concerne les élections régionales serait donc utile…
M. Philippe Marini. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Raffarin. … et j’accueillerais une telle réforme avec sympathie.
Car il y a tout de même, de la part du Gouvernement, dans cette affaire, une attitude quasiment pathologique. Si l’on avait prévu pour les régionales la même chose que pour les municipales, on serait dans les limites du raisonnable. Mais on ne l’a pas fait !
En ce qui concerne le vote blanc, je reviens au débat que nous avons eu hier soir et qui s’est clos avec l’intervention talentueuse de notre ami le président Arthuis. Celui-ci a repris une expression que j’avais moi-même employée, ainsi que M. de Broissia, en disant qu’il ne fallait pas opposer la République d’en haut et la République d’en bas.
Bien sûr, quand on a, comme notre collègue, occupé Bercy, il ne faut pas opposer le haut et le bas : ce ne serait pas bon pour le haut. (Rires sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
Nous ne voulons surtout pas opposer les deux Républiques. Ce que nous voulons dire, c’est que, dans la République, l’énergie et l’influence peuvent partir aussi bien d’en bas que d’en haut. C’est la même République ! C’est à la fois une République attentive à son terrain et à son citoyen et une République susceptible de donner des instructions, des directives.
Par conséquent, ce qui m’importe dans cette affaire de vote blanc, c’est la responsabilité du citoyen et, de ce point de vue, je serais assez défavorable à cet amendement. En effet, pour ceux qui défendent l’humanisme libéral, par opposition à ceux qui se réclament du matérialisme déterministe, au fondement de tout, il y a le libre arbitre, ce qui signifie pour le citoyen la faculté de faire ses choix. Pour nous qui ne suivons ni M. Freud avec son inconscient, ni M. Marx avec ses classes sociales, ni le biologisme avec l’équation génétique, nous sommes libres, rien ne nous prédestine. C’est cette liberté qui fonde notre confiance en l’homme. Cela suppose à la fois le libre choix et l’engagement.
Je ne souhaite donc pas que, dans notre démocratie, on encourage le non-engagement, le silence, le refus de prendre position.
D’un point de vue théorique, le camp des humanistes libéraux doit faire, contre celui des matérialistes déterministes, le choix du libre arbitre, c’est-à-dire de l’engagement du citoyen. Dès lors, nous devons l’inciter à prendre position plutôt qu’à se dérober. C’est en prenant une décision qu’il crée son propre avenir et qu’il trouve ainsi sa dignité. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Charles Descours. On a élevé le débat !
M. Louis de Broissia. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. de Broissia.
M. Louis de Broissia. J’ai hésité à prendre la parole après l’intervention pleine de fougue, de talent et de conviction de notre collègue Jean-Pierre Raffarin. J’y suis néanmoins incité par ce qu’il a dit lui-même, par les explications de M. le rapporteur, que j’ai écouté avec beaucoup d’intérêt, ainsi que par ce qu’a déclaré tout à l’heure M. le ministre au sujet du déroulement des travaux du Sénat.
Il est vrai, mes chers collègues, que ce texte nous donne l’occasion de débattre de nos vrais problèmes de démocratie locale et de démocratie nationale.
N’oublions jamais que nous sommes d’abord – c’est l’article 24 de la Constitution – les représentants des collectivités locales : c’est là une spécificité du Sénat, qui nous fait parfois considérer par d’aucuns comme des anomalies de la démocratie !
M. Raffarin l’a dit fort justement : nous ne sommes pas là pour opposer les expressions de la démocratie de terrain à celles de la démocratie du sommet, celles d’en-haut à celles d’en-bas. Nous sommes là pour conjuguer la République sous toutes ses formes et combattre l’indifférence au sein de la République.
Puisque débat il y a, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons de la meilleure manière d’organiser la République.
Je siégeais dans une autre assemblée lorsque, en 1989, j’ai déposé une proposition de loi – elle n’a pas eu de suites – sur le vote blanc. J’avais, à l’époque, été ardemment sollicité par diverses associations, dont l’une, baptisée « Blanc, c’est blanc », nous relance d’ailleurs régulièrement.
On a parlé du référendum de septembre 2000. Moi, je voudrais évoquer une élection qui m’a beaucoup frappé. En Côte-d’Or, à la suite du décès de Roland Carraz, qui avait été ministre, et qui était un conseiller général écouté, il a fallu procéder à son remplacement au conseil général. Cette élection a connu un certain retentissement médiatique, ce qui était normal, car la mort de Roland Carraz avait été cruellement ressentie par la population et par tous ses collègues. Ainsi, M. Chevènement est venu par deux fois en Côte-d’Or pour mobiliser la population. Et quel fut le taux de participation lors de cette élection cantonale, dont on a dit ici tout à l’heure que c’est une élection qui établit un lien charnel entre un homme ou une femme et la population ? A peine plus de 25 % !
Partout, aujourd’hui, la République souffre d’indifférence et nous, sénateurs, à la fois détenteurs collectivement, à côté des députés, du pouvoir législatif et représentants de la démocratie locale, sommes là pour dire qu’une occasion nous est offerte de parler de la participation des citoyens.
Mais je reviens à l’amendement n° 9.
Je le soutiendrai, même si, selon moi, il n’est pas parfait. Disons-le tout net : l’idéal aurait été de réfléchir à un vote obligatoire. Et nous sommes bien placés, au Sénat, pour en parler !
Lorsque je me suis présenté aux élections sénatoriales, j’ai examiné attentivement le code électoral et j’ai constaté que seule l’absention des grands électeurs était punie d’une amende, au demeurant modeste : de trente à cinquante francs. J’ai demandé au préfet de mon département si l’on appliquait cette sanction et il m’a répondu que ce n’était jamais le cas.
Néanmoins, pendant ma campagne électorale, j’ai mis en garde tous les grands électeurs contre le risque qu’ils courraient s’ils n’allaient pas voter. Nous sommes bourguignons, et non pas auvergnats, mais la participation a tout de même été de 97 à 98 %. (Sourires.) Cela prouve bien que la sanction constitue une incitation.
Tout à l’heure, monsieur le ministre, notre distingué rapporteur, M. Bonnet, s’est permis de vous rappeler que nous pouvions ajouter à une proposition de loi organique des dispositions relevant d’une proposition de loi ordinaire. Nous n’allons pas jusqu’à demander que le vote soit obligatoire, car le saut serait peut-être trop important, mais nous souhaitons créer une incitation forte au vote, de manière que personne ne puisse dire qu’il n’a aucun intérêt à aller voter. Il a intérêt à aller voter ne serait-ce que pour exprimer un mécontentement.
Dans la mesure où le sous-amendement n° 31 a été retiré, l’amendement n° 9 m’apparaît comme le plus petit commun dénominateur pour un début de retour à la démocratie à l’occasion de tous les scrutins : les scrutins européens, les scrutins nationaux, les scrutins régionaux, les scrutins départementaux, les scrutins municipaux.
Nous ne faisons là que commencer à gravir l’échelle du retour à la démocratie, monsieur le ministre. Sans doute faudra-t-il remettre à plat l’ensemble des scrutins en France parce que nous ne pouvons pas nous satisfaire de voir dorénavant, lors de scrutins importants, fortement mobilisateurs, un électeur sur quatre – c’est pis qu’aux Etats-Unis ! – ne pas se sentir concerné.
Voilà pourquoi je voterai l’amendement n° 9. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Nicolas About. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. About.
M. Nicolas About. Voter est un droit. A l’instant, on vient de nous expliquer que c’était également un devoir, et je partage ce point de vue.
Cela étant, le corollaire de ce droit, c’est qu’au moins celui qui l’a institué le respecte. Puisqu’il y a droit de voter, il y a droit de choisir, droit de prendre la position que l’on veut.
Je considère qu’on n’a pas à choisir obligatoirement, au nom de je ne sais quelle philosophie, entre la peste et le choléra. Permettez au médecin que je suis de dire que c’est un choix idiot. Or, lorsqu’un choix idiot est proposé, tout individu a, heureusement, le droit de s’abstenir : il n’a pas à être placé dans l’obligation de faire une bêtise plutôt qu’une ânerie.
M. Jean-Jacques Hyest. Il a le droit d’être candidat !
M. Nicolas About. Absolument !
Il faut donc répondre à la fois à la nécessité de faire fonctionner les institutions et à celle de respecter ce droit que nous avons souhaité instaurer.
Il faut également veiller à ce que, par l’astuce d’un référendum bien construit, une petite minorité ne tente pas de priver de certains de leurs droits fondamentaux l’ensemble des Français. Nous serions d’ailleurs bien inspirés d’y réfléchir, car il n’est pas sûr qu’il n’y ait pas à nouveau un jour un référendum sur le Sénat, tendant à « punir » celui-ci par le biais d’une minorité de Français de s’être quelquefois opposé.
Le vote blanc devrait donc être pris en compte dans les suffrages exprimés au premier tour d’une élection. En effet, le premier tour – Dieu sait si les politiques le répètent à chaque fois ! – sert à se compter, tandis que le second tour sert à opérer un choix. Eh bien ! si le premier tour sert à se compter, comptons ceux qui ne sont pas contents du choix qui leur est proposé ! Après tout, ils ont aussi le droit de dire qu’ils ne le trouvent pas merveilleux.
En revanche, parce que nous avons le devoir d’assurer la survie de nos institutions et qu’une élection doit déboucher sur un résultat, il m’apparaît nécessaire que le vote blanc ne soit pris en compte qu’au premier tour afin de permettre un choix au second. Bien sûr, il faudra compléter le système, de telle façon qu’il y ait toujours deux candidats au second tour.
S’agissant du référendum, il n’y a aucun doute : si une majorité de « oui » n’est pas exprimée, un texte ne doit pas être adopté. A défaut, je le répète, nous serons les premières victimes : il se peut que, bientôt, par l’astuce d’un référendum et grâce à un vote minoritaire, beaucoup de nos institutions soient « balayées »…
Considérant donc que les amendements qui nous sont soumis ne vont pas assez loin et souhaitant démontrer aujourd’hui le peu de poids du vote blanc, je voterai blanc ! (Sourires.)
M. Philippe Marini. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. Beaucoup d’entre nous pensent que la proposition de loi dont nous débattons se résume à une simple manoeuvre politique. Or, dans le cours de l’examen de celle-ci, il nous arrive d’aborder des sujets concrets d’un réel intérêt. C’est ce qui vient de se produire grâce aux amendements et sous-amendements de nos collègues sur la prise en compte du vote blanc.
Oui, mes chers collègues, c’est depuis des années un sujet réel, mais une conjonction de contraires aboutit, comme c’est souvent le cas, à l’écarter des délibérations de nos assemblées.
Oui, il est opportun d’en débattre.
Oui, il est opportun que le débat au Sénat soit suivi d’un débat à l’Assemblée nationale.
M. Jean-Jacques Hyest. Il n’y en aura pas : il y a urgence !
M. Philippe Marini. Le vote blanc est en effet un révélateur, et un révélateur qu’il convient de ne pas négliger. On ne peut pas, cher docteur About, considérer que la maladie a disparu parce que l’on a cassé le thermomètre !
M. Nicolas About. Tout à fait !
M. Jean-Jacques Hyest. C’est exactement ce que vous faites !
M. Philippe Marini. Or le vote blanc est un des thermomètres qui permettent d’apprécier la bonne santé de la démocratie. Si tant de nos concitoyens sont tentés par le non-choix, et s’ils l’expriment au moyen du vote blanc, cela signifie sans doute que nos institutions et la démocratie elle-même se portent mal. Veut-on affronter la réalité ou préfère-t-on se voiler la face ? C’est bien la question fondamentale dans ce débat.
Cependant, mes chers collègues, si l’on admettait le vote blanc dans les décomptes des suffrages exprimés, il faudrait en analyser toutes les conséquences.
La prise en compte du vote blanc dans les suffrages exprimés doit-elle valoir pour le premier tour seulement ou pour les deux tours ? Faut-il traiter à l’identique, d’une part, les élections nationales et locales, d’autre part, les procédures référendaires ?
La réponse à toutes ces questions n’est pas du tout évidente.
S’agissant des élections, je conçois qu’après l’expression du premier tour il soit indispensable d’assurer une force institutionnelle suffisante à celui ou à celle qui sera désigné pour exercer le mandat en jeu.
M. Nicolas About. Tout à fait !
M. Philippe Marini. Mais, lorsqu’il s’agit d’une question posée au peuple, le problème n’est pas le même. Le peuple n’a-t-il pas le droit de dire, mes chers collègues, que la question n’a pas de sens, que la question est mal posée, qu’à une mauvaise question ne peut correspondre qu’une mauvaise réponse ?
N’y a-t-il pas bien des situations dans lesquelles il est impossible à un électeur exerçant ses droits et ses devoirs de répondre en conscience par oui ou par non ?
N’y a-t-il pas eu dans notre histoire, mes chers collègues, des plébiscites, des questions formulées de telle sorte que la consultation du peuple souverain était à l’avance biaisée et donc sans aucune signification ? (M. About opine.)
La prise en compte du vote blanc dans le référendum ne serait-elle pas une véritable avancée de la démocratie…
M. Nicolas About. Tout à fait !
M. Philippe Marini … telle du moins que les esprits libéraux et respectueux de la liberté individuelle la conçoivent ?
Mes chers collègues, tous ces sujets sont à l’évidence fondamentaux, mais nous est-il déjà arrivé, au cours de nos vies parlementaires et quels que soient les hémicycles auxquels nous ayons appartenu, d’en débattre ? Je ne le crois pas ! Certes, et Louis de Broissia le rappelait, depuis des années la question du vote blanc fait l’objet d’initiatives en quelque sorte mécaniques, mais, dans la période récente, nous n’avons jamais eu l’occasion d’entendre des explications aussi structurées que celles que vient de donner M. le rapporteur.
Le débat d’aujourd’hui sur un sujet aussi essentiel à la mission de législateur est donc, mes chers collègues, extrêmement opportun, même s’il faudrait aller au-delà des amendements n°s 9 et 10.
Considérant l’opportunité du débat, son utilité pour notre démocratie et nos institutions, je suis donc très tenté de voter l’amendement n° 9, comme je serai sans doute tenté de voter l’amendement n° 10. Non pas que le dispositif soit complet et satisfaisant, car il faudrait aller beaucoup plus loin et tirer toutes les conséquences, mais je crois qu’il appartient à nos collègues députés…
M. le président. Pouvez-vous conclure, monsieur Marini ?
M. Philippe Marini. … de prendre leurs responsabilités sur un sujet aussi essentiel. C’est dans cet esprit que je m’apprête à voter l’amendement n° 9. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Alain Vasselle. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Au risque d’être, pour partie, redondant, permettez-moi d’exposer les raisons qui justifient le vote que j’exprimerai dans quelques instants sur l’amendement n° 9.
D’abord, je suis près de partager, dans son esprit, la position défendue par notre rapporteur, mais cet amendement, dont je suis d’ailleurs cosignataire, est sans doute une fausse bonne solution. De par son contenu et ses objectifs, c’est sans aucun doute une réponse à la forte attente d’une grande partie de la population française – du moins de celle qui participe aux élections – mais est-ce la bonne ?
Plusieurs d’entre nous ont plaidé en faveur de cet amendement, d’autres s’y sont opposés, mais cette initiative présente au moins un avantage : celui de provoquer le débat, et, comme cela a été dit par nombre d’orateurs, notamment, à l’instant même, par mon collègue Philippe Marini, il y aurait intérêt à ce que ce débat se prolonge à l’Assemblée nationale.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Il n’aura pas lieu !
M. Alain Vasselle. Il serait un peu trop facile de dire qu’il s’agit d’un cavalier…
M. Christian Bonnet, rapporteur. Non, ce n’en est pas un !
M. Alain Vasselle. C’est l’opinion de M. le ministre.
Mais, quand bien même cet amendement n’aurait pas sa place dans la proposition de loi organique, il nous aura permis de débattre du vote blanc : nous n’en aurions peut-être jamais débattu si le Gouvernement ne nous en avait donné aujourd’hui l’occasion !
Nous ne nous faisons en effet pas d’illusion sur le sort réservé aux propositions de loi portant sur ce sujet, car il en existe, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat : elles ne sont jamais inscrites à l’ordre du jour. Bien évidemment, le Gouvernement considère toujours qu’il y a des sujets plus importants ou plus urgents !
Le débat d’aujourd’hui apporte donc un nouvel éclairage. Je ne sais pas s’il est télévisé, mais, mes chers collègues, s’il l’est, les jeunes générations ou même les générations actuelles pourront découvrir la définition du verbe « parlementer », parce que nous parlementons, peut-être un peu trop pour certains, mais nous le faisons sur des questions fondamentales qui placent l’ensemble du peuple français devant ces responsabilités.
Si nous sommes amenés aujourd’hui à examiner un amendement de cette nature, c’est en effet parce que nous tirons des enseignements du comportement des électrices et des électeurs lors de chaque scrutin, l’exemple le plus significatif en la matière étant le dernier référendum.
M. Philippe Marini. Triste débat !
M. Alain Vasselle. Si la solution proposée ne me paraît pas adaptée du fait des effets pervers, exposés avec beaucoup de pertinence par M. le rapporteur, qu’elle risquerait d’avoir s’agissant de la désignation d’hommes ou de femmes à des fonctions électives, en revanche elle prend à mon sens toute sa valeur pour le référendum.
Mes chers collègues, il est tout de même pitoyable de constater que la réforme constitutionnelle sur la durée du mandat du plus haut personnage de l’Etat n’a mobilisé qu’à peine 30 % des inscrits. Quelle est la légitimité d’une réforme adoptée dans ces conditions ? Comme l’a souligné notamment Philippe Marini, cela signifie que nous pourrions, demain, être incapables de nous opposer aux effets pervers d’une réforme structurelle de notre Constitution adoptée par une minorité de Français. A terme, la Constitution de la Ve République pourrait être supprimée, et nous passerions ainsi à la VIe République.
Peut-être est-ce d’ailleurs l’objectif recherché ?
C’est la raison pour laquelle le débat doit sortir de nos assemblées et toucher, par l’intermédiaire des médias, toute la société française. Peut-être faut-il provoquer un électrochoc chez l’ensemble des Françaises et des Français en leur démontrant que leur comportement peut conduire à des situations complètement absurdes, par exemple, comme l’a très justement fait valoir notre rapporteur, à l’absence d’élu après le second tour, du fait de l’élévation des seuils.
Enfin, je soutiens l’argumentation de notre collègue Jean-Pierre Raffarin…
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Vasselle !
M. Alain Vasselle. Monsieur le président, je vais conclure dans quelques instants.
Cette argumentation ne fait que conforter celles et ceux qui ont déposé l’amendement n° 9. C’est l’engagement défaillant des Françaises et des Français lors des élections qui est à la source de cet amendement. Ne combattons donc pas une initiative qui a une telle source !
Comme l’a dit M. de Broissia, le vote obligatoire pourrait être l’une des solutions qui ressortiraient de l’analyse qui serait faite au Sénat et à l’Assemblée nationale.
C’est la raison pour laquelle, comme M. Marini et bien d’autres, je voterai cet amendement, tout en étant bien conscient qu’il ne constitue pas la solution et que celle-ci sortira du débat parlementaire et du travail de nos commissions. Il faut que nous avancions sur ce sujet.
M. Pierre Fauchon. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Je suis de ceux qui ont de la peine à comprendre en quoi la prise en compte du vote blanc ferait avancer la démocratie ; je ne vois pas non plus en quoi sa non-prise en compte la ferait reculer. C’est le vote blanc qui fait reculer la démocratie, car il est un refus d’engagement. Or le refus d’engagement, c’est en réalité le refus de la démocratie.
M. Gérard César. Très juste !
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Pierre Fauchon. Voilà ce que j’en pense !
Monsieur About, vous avez invoqué l’argument selon lequel nous voudrions empêcher nos concitoyens de voter blanc alors que le vote blanc est une liberté à laquelle tout citoyen a droit. Certes, tout citoyen a le droit de voter blanc, et personne n’est intervenu pour le lui interdire. Mais, s’il faut valoriser le vote blanc, c’est une autre question.
M. Jean-Jacques Hyest. Effectivement !
M. Jacques Machet. Voilà !
M. Pierre Fauchon. En effet, cet amendement vise non pas à autoriser, mais à valoriser le vote blanc et à lui permettre d’entrer dans les décomptes électoraux comme quelque chose de significatif. (M. Guy-Pierre Cabanel fait un signe de dénégation.) Mais si, c’est la conséquence ! On entre dans la voie, cher ami. Je ne suis pas partisan d’entrouvrir la porte car, ensuite, on l’ouvrira un peu plus et nous n’en sortirons pas. (M. Guy-Pierre Cabanel s’exclame.) Voulez-vous bien m’entendre, monsieur Cabanel ? (M. Guy-Pierre Cabanel opine.) J’en suis très honoré. Vous m’avez fait perdre une minute, je la mets à votre compte ! (Sourires.)
Le vote blanc est permis, disais-je. Mais qu’est-ce que le vote blanc ? C’est un refus de participer, c’est un refus de s’engager.
M. Nicolas About. Mais non !
M. Pierre Fauchon. Or qu’est-ce que la politique ? Qu’est-ce que le civisme ? Ce n’est pas une philosophie. Si on vous demande de vous prononcer sur la réalité de la sainte Trinité ou de l’Immaculée conception, vous pouvez parfaitement voter blanc. En effet, nous sommes dans le domaine de la philosophie et de la métaphysique. Toutes les positions sont permises, et même encouragées.
M. Jean-Jacques Hyest. Non, non !
M. Pierre Fauchon. Mais la politique citoyenne…
M. Christian Bonnet, rapporteur. Aujourd’hui, tout est citoyen, même les chiens !
M. Pierre Fauchon. Quand on est citoyen, on doit participer à la vie publique, sinon quelque part, comme on dit dans le beau langage actuel, on n’est pas vraiment citoyen. Le vote blanc, c’est une sorte de raffinement de l’abstention, entre nous soit dit. Mais c’est un raffinement équivoque. En effet, on plaide pour le vote blanc comme si on savait ce qu’il veut dire. En réalité, on ne le sait pas.
M. Nicolas About. Pour les « oui » et les « non », nous ne le savons pas non plus !
M. Pierre Fauchon. Il est donc présomptueux de l’interpréter d’une manière ou d’une autre. Prenons l’hypothèse selon laquelle il y a deux candidats et quelqu’un qui appartient au parti de l’un des deux candidats mais à qui ce candidat ne plaît pas : il votera blanc, non pas qu’il soit contre son parti, mais parce que la personne que présente le parti ne lui convient pas. Il en est de même si quelqu’un n’est content ni de l’un ni de l’autre des deux candidats et aurait préféré une troisième candidature. Eh bien ! celui-là n’a qu’à être candidat, il n’a qu’à s’engager dans la politique s’il veut être pris en compte. En vérité, il ne s’engage pas.
M. Nicolas About. Mais non !
M. Jean Chirioux. C’est un refus des personnes !
M. Pierre Fauchon. Dans ces conditions, ce n’est pas grandir la démocratie que de lui permettre, par cette porte dérobée, de s’introduire dans le système et de participer à la vie démocratique du pays, alors que, en réalité, je le répète, il n’a qu’à s’engager. L’engagement est tout de même le fondement de la vie citoyenne. Le refus d’engagement ne doit pas être encouragé ni même comptabilisé.
MM. Jacques Machet et Gérard César. Très bien !
M. Patrice Gélard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Je crains que cet amendement n’ait un certain succès et c’est pourquoi je voudrais le sous-amender. (Sourires.) Je souhaite le compléter par un alinéa précisant que la disposition ne sera applicable qu’à compter du 1er janvier 2002. En effet, je ne veux pas qu’un an avant les élections les règles du scrutin puissent être modifiées en quoi que ce soit. Donc, je dépose ce sous-amendement.
Cela étant dit, je voterai contre l’amendement car les arguments de M. le rapporteur et de MM. Fauchon et Hyest m’ont convaincu.
M. le président. Monsieur Gélard, je ne peux prendre en compte votre sous-amendement. En effet, nous en sommes parvenus à la fin des explications de vote et cette méthode apporte à la cohérence des débats une perturbation.
M. Charles Descours. Je demande la parole pour explication de vote sur l’amendement n° 9.
M. le président. La parole est à M. Descours.
M. Charles Descours. Je suis très heureux d’avoir cosigné cet amendement… même si j’ai appris un peu tardivement que je l’avais fait ! (Sourires.)
Dans notre vie publique, monsieur le ministre, il y a d’autres débats beaucoup plus importants que l’inversion du calendrier électoral. Quand on joue aux apprentis sorciers en voulant nous faire débattre sur l’inversion du calendrier, il y a un effet de boomerang, qui nous conduits notamment à examiner la question du vote blanc, laquelle est, pour nos concitoyens, beaucoup plus importante que l’éventuelle inversion du calendrier électoral.
Monsieur le ministre, nous ne faisons pas durer le débat pour le plaisir. Puisque vous avez mis le doigt dans l’engrenage, nous débattons maintenons de tout ce qui bloque le fonctionnement de la vie démocratique dans notre pays.
Monsieur Fauchon, vous avez une vision idyllique de l’abstention. Or celle-ci n’est pas un geste civique. Actuellement, la moitié des Français ne savent même pas qu’il y aura des élections les 11 et 18 mars prochain. S’abstenir, ce n’est pas un vote. Les Français dont je viens de parler se moquent complètement de la vie civique.
M. Nicolas About. Cela n’a rien à voir avec le vote blanc, en effet !
M. Charles Descours. Il en va différemment de ceux qui votent blanc. Imaginons que lors des prochaines élections trois candidats soient en présence. Si aucun des trois ne convient à tel électeur, celui-ci votera blanc. Ainsi, il fera un geste. C’est pourquoi il est dommage que les votes blancs ne soient pas décomptés.
J’ai bien écouté M. le rapporteur et un certain nombre de nos collègues, notamment M. About. Effectivement, dans une élection uninominale, le problème n’est pas le même au premier tour et au second tour, car à un moment il faut bien choisir celui qui va représenter le pays, le canton, le département ou la région.
Le problème est encore différent lorsqu’il s’agit d’une procédure référendaire. Il serait effectivement scandaleux que des minorités hurlantes imposent leur voix. D’ailleurs, les Suisses, qui ont une grande habitude du référendum, ont prévu un certain nombre de garde-fous en imposant un minimum de signatures, afin que la procédure référendaire ne soit pas galvaudée.
Voilà dix-huit ans que je suis sénateur. Or, c’est la première fois que nous débattons sur le vote blanc. Cela me semble anormal, car, à chaque élection, plusieurs millions de nos concitoyens votent blanc et ils seront probablement nombreux à voter blanc à l’occasion des élections qui auront lieu le mois prochain.
M. Jean-Jacques Hyest. Non !
M. Charles Descours. Si ! J’en prends le pari ! Prenons rendez-vous, pour compter les votes blancs à Paris !
M. Pierre Fauchon. Ils voteront blanc tout simplement pour ne pas être comptabilisés comme abstentionnistes !
M. Charles Descours. Il y aura, hélas ! d’autres raisons !
Ce débat, je le rappelle, se déroule en l’absence de l’opposition sénatoriale. Cela prouve qu’il y a un débat entre nous, dans la majorité sénatoriale. Il a eu le mérite d’exister et, je crois, d’éclairer, à travers des arguments variés et intéressants, les positions des uns et des autres.
Cependant, objectivement, on ne peut adopter un tel amendement au détour d’une procédure un petit peu « volée », car il mérite mieux. Aussi, je le retire, tout en précisant, pour rester dans l’esprit qui a sous-tendu cet amendement, qu’il s’agit d’un retrait positif, car cette disposition nécessite un vrai débat.
M. Pierre Fauchon. Vous privez M. About de la possibilité de voter blanc ! (Sourires.)
M. le président. L’amendement n° 9 est retiré.
Mon cher collègue, par voie de conséquence, retirez-vous également les amendements n°s 10 et 11 ?
M. Charles Descours. Oui, monsieur le président, je les retire, et ce malgré l’intérêt du débat !

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