On lance un mot, une technique, et une vague de lieux communs s’abat sur la grève. C’est ce qu’est en train de vérifier le groupe MoDem à l’Assemblée nationale. Suite à l’expérience américaine lors de l’élection présidentielle de 2020, il souhaite que la France elle aussi favorise le niveau de participation en période de pandémie en réintégrant le vote par correspondance.
Mais cette initiative fait surgir, notamment dans la majorité présidentielle directe, des oppositions. Quand on observe les arguments contre qui surgissent, on retrouve des objections très proches de celles adressées contre le vote blanc. C’est ce que nous vous proposons de développer dans les paragraphes qui suivent.
Première objection. La campagne électorale remise en cause.
« Le problème du vote par correspondance est qu’il est diffus dans le temps »
Casse-tête
Propos recueillis par Louis Hausalter Publié le 13/11/2020
Entretien avec le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l’université de Lille.
« Cet étalage sur plusieurs journées ou semaines risque d’influencer davantage et de façon différenciée le vote des uns et des autres. Imaginons que le vote par correspondance ait existé en 2017 et qu’il ait été ouvert dès la mi-janvier. Dans cette hypothèse fictive, l’électeur qui vote le 15 janvier n’a pas connaissance des révélations du Canard enchaîné sur François Fillon. Et s’il vote fin janvier, il n’aura pas connaissance des rebondissements. »
Notre avis. Toute question sur l’acte électoral doit supporter l’intervention d’un constitutionnaliste. Nous sommes bien placés au vote blanc pour le savoir. Ce Jean-Philippe Derosier nous est inconnu pour l’instant. Peut-être d’ici 2022 donnera-t-il sa sentence sur notre sujet. Elle ne nous sera certainement pas favorable. Ici, l’énoncé « diffus dans le temps » donne une force d’autorité à un aspect pratique tout à fait surmontable mais, pour un constitutionnaliste, accroître la possibilité pour un électeur ordinaire de voter est forcément suspect. Rien n’oblige de faire commencer le vote par la poste en janvier pour une élection en avril. Le début du mois suffit.
Autre objection. L’électeur en danger. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a d’ailleurs souligné les réticences du gouvernement, mardi à l’Assemblée. « Le système électoral français correspond sans doute à un certain nombre de critères qui empêchent peut-être d’aller vers le vote à distance », a-t-il déclaré, invoquant les risques de fraude et « le poids communautaire » qu’un tiers pourrait exercer sur un électeur. « L’argument selon lequel des pressions pourraient s’exercer sur ceux qui voteraient à distance me paraît recevable » complète l’élu de la Vienne Sacha Houlié.
Guillaume Garot, député PS de la Mayenne voit d’un mauvais œil le vote par correspondance. C’est une fausse bonne idée d’après lui : « Je suis très attaché au vote personnel, de chacun, dans l’isoloir. Que chacun en son âme et conscience décide, et pas sous la demande ou l’insistante pression de ceux qui vous sont proches. » (https://www.francebleu.fr/infos/politique/vote-par-correspondance-1605089721)
Notre avis. Et pourtant l’isoloir avant 1913, n’était-il pas accusé de rendre fous les bons citoyens que l’on y enfermerait (Cf Alain Garrigou) ? Pour le vote par correspondance, ne grossit-on pas un risque afin d’apeurer l’opinion ?
Autre objection. Une démocratie sans visage. « C’est une piste qui ne doit pas être exclue », estime Damien Abad, président du groupe LR à l’Assemblée. « Mais il faut des garanties, car il est hors de question qu’on puisse avoir des soupçons sur ce mode de scrutin. En outre, ça ne peut pas être la panacée, on a besoin d’une démocratie vivante »
Notre avis. L’élection qui vient de s’achever aux Etats-Unis ne nous a pas semblé atone. Le vote par correspondance l’a particulièrement animée.
Suite de l’objection. « C’est parce qu’il permettait toutes les fraudes qu’on est revenu dessus en 1975. Le vote par correspondance pose plus de problèmes qu’il n’en règle. Il faut plutôt chercher à améliorer la sécurisation du vote électronique », avance-t-on dans l’entourage de Jean-Christophe Lagarde, président de l’UDI.
Notre avis. Ainsi donc Donald Trump a eu raison pendant tous ces mois précédant le vote de dire que le résultat serait obligatoirement truqué à cause du vote par correspondance.
Autre objection. Trop compliqué. « Faire adopter le vote par correspondance, c’est une promesse de Gascon si nous ne sommes pas ensuite capables de le mettre en œuvre », raille le député LREM Sacha Houlié. « L’idée a été déjà écartée avant le second tour des municipales de juin. J’y reste opposé pour des raisons techniques et de fiabilité.» complète l’élu de la Vienne Sacha Houlié.
Notre avis. Quand on pense au nombre d’ingénieurs que forme le pays. On sera bientôt dans la 5G et on n’arriverait pas à résoudre quelques problèmes techniques ?
Nouvelle objection. La réponse toute faite du ministère de l’intérieur Conscient que le débat n’est pas enterré, Gérald Darmanin a convié Patrick Mignola à dîner lundi prochain pour en discuter. « Sa déclaration n’était pas surprenante car c’est la position du ministère de l’Intérieur depuis quarante-cinq ans (et la suppression du vote par correspondance, NDLR), mais elle était plus surprenante politiquement parlant car beaucoup de personnalités y sont ouvertes », observe Patrick Mignola, qui ne veut pas renoncer à son initiative.
Notre avis. Le vote blanc aussi a depuis des décennies un ministère de l’intérieur qui ne sait que répéter sa leçon sans qu’aucun locataire de la place Beauvau ne demande à ses services d’en vérifier le bien fondé.
Dernière objection. En débattre. Vote blanc en tête
« Dans le sondage Ifop, le vote blanc suscite le plus grand nombre d’opinions favorables. 81% des sondés estiment qu’il devrait être pris en compte dans le calcul des résultats comme un suffrage exprimé. Pour Hervé Marseille, président du groupe UC [Union Centriste] au Sénat, ces deux premiers constats sur le vote par correspondance et le vote blanc ne sont pas surprenants. « Covid ou pas, la défiance à l’égard du politique reste très élevée. Beaucoup de gens estiment que voter ou pas ne change rien à leur vie. L’abstention est d’ailleurs l’une des marques du quinquennat. Elle a commencé dès les législatives de 2017 et s’est poursuivie à un niveau très élevé dans toutes les élections ».
Si Hervé Marseille reste sceptique face au vote par correspondance, il laisse la porte ouverte pour y réfléchir. D’ailleurs, le Sénat va mettre en place une mission d’information via la commission des lois pour définir avec précision les contours de ce vote et évaluer les moyens de le sécuriser. Le sénateur veut proposer quant à lui une expérimentation à l’échelle départementale ou régionale. » https://www.lefigaro.fr/politique/sondage-les-francais-partages-sur-le-vote-par-correspondance-20201117
Notre avis. Le sénateur Marseille amalgame vote blanc et abstention. Il est sûrement influencé par l’enquête de Dominique Reynié. Un peu simpliste comme lecture du paysage électoral. Il faudrait s’appuyer sur des études plus approfondies, qui démontreraient que l’on est dans une autre logique avec les électeurs qui ont utilisé les bulletins blancs jusqu’à présent. Mais si le sénateur est prêt à réfléchir au vote par correspondance, on n’est pas sûr qu’il le soit pour le vote blanc.
Un espoir ?
Nous finirons avec une touche d’optimisme. Jean-Pierre Raffarin, contre le vote blanc au début du siècle, ne voit pas forcément d’un mauvais œil le vote par correspondance. Il aime la démocratie et la participation électorale des citoyens.
« La démocratie sans participation est dangereuse. » Jean-Pierre Raffarin, Public Sénat, 13 novembre 2020. Qui sait si, aujourd’hui, au nom du souci d’une participation à sauver, il ne deviendrait pas favorable au vote blanc ? https://www.publicsenat.fr/article/politique/jean-pierre-raffarin-je-ne-suis-pas-hostile-a-l-idee-de-reintroduire-le-vote-par