Nous sommes face à une force d’inertie. Au moment où nous peinons à trouver des prises de position d’experts contre le vote blanc, l’élu lambda reste dans un scepticisme instinctif. Sans en avoir conscience, il ressasse des ressentis qui n’épousent pas les valeurs démocratiques mais qui les rassurent, eux. La plupart des parlementaires sont traversés de doutes existentiels sur leur utilité et sont obligés de se surestimer pour surmonter leur fragilité. La masse n’est pas courageuse et se tire le plus souvent vers le bas. L’audition du 29 septembre nous confirme que le mouvement menant à l’aboutissement pour le vote blanc ne naîtra pas des hémicycles mais arrivera par le haut, depuis l’exécutif.
Jugement majoritaire a subi le même « à quoi bon » que le vote blanc depuis des décennies. Ces Messieurs-dames étaient sur la défensive. On en oubliait qu’ils ont pour mission de faire revenir les citoyens aux urnes.
UN ESPRIT DE CASTE
Ils sont prêts à se serrer les coudes même s’ils sont de bords politiques opposés. Ils retrouvent instinctivement cette distinction raffarinienne entre la ‘France d’en haut’ et la ‘France d’en bas’. Le représentant est plus important que le simple citoyen. Ils se vivent comme l’avant-garde éclairée, menacée par l’inconséquence populaire. Stéphane Travert (LREM ex-socialiste) affirme, sans peur du ridicule : « Sans nous, la République ne tournerait pas. Nous prenons des décisions. Nous choisissons. Ici, voter c’est choisir. » Et de lire dans notre première intervention du « mépris ». « Vous nous faites un procès d’intention ». Le peuple n’est pas reconnaissant du sacrifice qu’ils acceptent tous les jours de leur vie de représentants. Nous devons les remercier, à genoux : « Vous constaterez que vous avez encore la possibilité de venir vous exprimer. » La menace est là ; si nous ne sommes pas gentils, on ne nous écoutera plus.
Dans la même intervention, le député Travert étale toute leur contradiction : « L’ensemble des députés qui sont ici ont tout intérêt à ce qu’il y ait un maximum d’électeurs qui se déplacent. C’est ce qui nous confère la légitimité pour travailler et c’est ce qui nous confère notre capacité à faire, à rassembler et à réfléchir sur la manière dont doit porter des politiques publiques. »
Résumons : Sans vous nous ne sommes rien, mais pas question d’une quelconque remise en cause. C’est à l’électeur de venir nombreux et de voter comme ça les arrange.
Et notamment, pour la députée Roques-Etienne (LREM), le bon électeur est celui qui « renonce ». Ce n’est pas celui qui exerce son libre arbitre, son esprit critique, sa sagacité. C’est celui qui prend sur lui, qui se contente du pis-aller, qui capitule. « Est-ce que pour vous, le vote blanc, le fait de ne pas choisir, c’est le fait de ne pas vouloir prendre de décision. Voter blanc, c’est refuser de renoncer, c’est de la lâcheté. » Le mot est lâché. L’électeur est couard quand le représentant élu est courageux.
Pacôme Rupin, lui aussi élu de la majorité présidentielle, qui se dit non défavorable au vote blanc, retourne vite dans sa tour d’ivoire : « Quelle est la vision de ce que nous attendons de l’électeur ? Vous parliez de la fête de l’électeur. Je ne sais pas si on doit fêter l’électeur. J’ai tenu beaucoup de bureaux de vote et parfois on se dit qu’il faut presque remercier les gens qui viennent voter. Souvent, c’est les électeurs qui remercient ceux qui tiennent le bureau de vote. C’est un droit et un devoir. Là où je pense que l’électeur doit faire preuve de responsabilité. Ma position est celle de la responsabilisation de l’électeur. Nous, nous sommes en permanence dans des doutes profonds quand nous votons ; nous avons trois choix : oui, non, abstention. A chaque fois ce sont des moments difficiles. On ne peut pas exprimer dans ce vote-là une petite partie de désaccord sur un texte. Quand nous devons voter un projet de loi global. » Les dernières phrases sont des réserves émises sur le Jugement majoritaire. Mais elles révèlent ce sentiment de supériorité qui habite ces parlementaires. Ils attendent de nous que nous nous civilisions, que nous fassions l’effort d’atteindre les sommets d’abnégation qu’ils s’imposent. Nous sommes à Sparte, pas à Athènes.
LA PARABOLE DU PIETON ET DE L’AUTOMOBILISTE
Il faudrait imaginer une parabole, la parabole du piéton et de l’automobiliste. Nous sommes tous des piétons. Mais pour circuler, nous prenons parfois ou souvent une automobile, qui nous élève parce que nous pouvons aller plus vite, plus loin, à l’abri des intempéries. Nous avons même une arme meurtrière entre les mains. Nous pouvons nous plaindre de ces gens à pied qui nous obligent à ralentir à cause de dos-d’âne pour éviter des accrochages violents ou à nous arrêter pour les laisser passer. Ils entravent notre puissance presque divine. Mais à ces moments-là il faut savoir rester humbles, ne pas tempêter, lancer notre foudre à coups de klaxon. Il faut nous souvenir que dans peu de temps nous serons à nouveau piétons et que nous trouverons naturelles ces protections. Les élus eux-aussi ont été et redeviendront de simples électeurs. Ils ne sont pas des surhommes au moment où ils exercent une charge et rien ne doit leur permettre de se penser au-dessus du lot. Pendant la pandémie, ce ne sont pas les parlementaires votant les lois d’urgence qui ont sauvé des vies et permis à la société de ne pas être complètement arrêtée, mais le personnel soignant et tous ceux qui ont continué à œuvrer.
On pourrait aussi pousser la métaphore. Les enfants doivent apprendre et deviennent élèves pour cela. Le professeur est important. Si un élève manque, le cours a lieu. Si le professeur est absent, le cours est reporté. Mais si plus de la moitié de la classe est portée pâle, est-il légitime de faire la séance ? Si l’élu démissionne on le remplace et l’électeur est indispensable pour cela. L’enseignant a le savoir, les élèves viennent l’acquérir ; l’élu n’en sait pas plus, dans l’absolu, que le citoyen électeur. Si donc l’enseignant doit reconnaître que le but final de sa mission est de préparer la nouvelle génération à mener la société de demain et que c’est la réussite de son public qui l’emporte sur son intérêt à court terme, l’élu encore plus doit avoir la modestie de se dire que la république de demain est dans le fait que l’électeur se sente reconnu quand il vient au bureau de vote.
On aurait pu terminer sur une note positive avec le député François Cornut-Gentille (LR). « Le mépris ou le dédain à l’égard du vote blanc, comme vous, me choque un petit peu. » nous dit-il. « Mais je ne vois pas très bien sur quoi ça débouche votre truc. » Notre ‘truc’, c’est l’égalité pour un vote en conscience.