A l’automne 2020, le think tank Fondapol avait lancé une alerte au sujet d’un potentiel vote antisystème fourni à l’approche de l’élection présidentielle, proche du tsunami. Le vote blanc y était intégré. C’est peut-être pour cela que Richard Ferrand – président de l’Assemblée nationale et instigateur de la mission d’information qui a auditionné l’Association pour la reconnaissance du vote blanc – a commandité à cette structure un rapport sur l’abstention[1]. Le travail rendu est ample. Il brasse toute l’Europe par des enquêtes sur la perception de certaines questions liées à la démocratie dans de multiples pays. Mais il resserre aussi l’analyse sur l’abstention et le vote blanc en France. C’est bien évidemment sur ces paragraphes que notre attention s’attarde.
Le rapport commence par une série de 21 pistes de réflexion. A en lire certaines, on serait tenté de penser que Dominique Reynié pourrait rejoindre dans l’instant l’Association pour la reconnaissance du vote blanc. Le point 6 défend la nécessité de la liberté de vote : « Démontrer la réalité de la liberté de choisir : il est paradoxal de vouloir encourager la participation électorale et de condamner en même temps le vote en faveur de partis et de candidats protestataires ou populistes, par ailleurs autorisés à concourir, sauf à modifier les règles permettant d’interdire ce type de candidatures au nom de critères politiques et moraux (ce que nous ne recommanderons pas de faire). » Dans cette logique, il devient naturel de ne pas condamner le vote blanc. D’ailleurs, le point 8 aboutit pratiquement à cette conclusion :
« Si l’on veut combattre l’abstention, il est paradoxal ou maladroit de stigmatiser les choix électoraux des classes populaires. Les classes populaires sont massivement partagées entre l’abstention et le vote protestataire. Or, dans un paradoxe qui pourrait être fatal, la réaction des responsables politiques, de nombre d’experts et de la classe médiatique à ces deux grands types de comportements électoraux des classes populaires prend la forme soit d’une absence de considération, dans le cas de l’abstention, soit d’une disqualification morale des préférences exprimés par les électeurs issus des classes populaires lorsque ces derniers votent pour des partis qualifiés d’antisystème, d’extrême ou de populistes. » Beaucoup d’élus, avec en tête Richard Ferrand, beaucoup de ténors des médias, d’universitaires recourent à cette disqualification morale quand ils daignent dire un mot du vote blanc.
Dans le point suivant, Dominique Reynié abonde dans notre sens en disant que les premiers à devoir se remettre en cause face à la baisse de la participation sont les élus. La première phrase citée ici correspond exactement à l’idée d’un dimanche d’élection devenant la fête de l’électeur – ce qui avait interloqué les députés présents à l’audition le 29 septembre : « Ce sont les électeurs qui font les élus, non les quotas sociodémographiques. Il appartient aux partis de sélectionner les candidats qui leur semblent les plus à même de représenter les électeurs. Il appartient aux électeurs de les élire ou non. » Après le point 13, nous serions prêts à prendre Dominique Reynié dans nos bras : « le vote obligatoire est à proscrire. Il implique de transférer aux électeurs la responsabilité de l’abstention. Si les électeurs sont bien en partie responsables de l’abstention, il revient cependant aux gouvernants et aux élus de faire en sorte que l’on retrouve l’intérêt pour le vote et le sens de son importance. »
Puis vient l’étude plus spécifique de l’abstention en France. Et là, la démonstration devient accablante pour le vote blanc. Une grande partie des gens qui choisissent ce type de bulletin sont des gens qui ne s’intéressent pas à la politique, qui n’ont que peu de confiance en l’acte électoral, qui ne se reconnaissent pas dans les médias consacrés. Voici le détail de ce que les enquêtes de Fondapol ont fait remonter :
Les « sans-préférence partisane » : l’abstention ou le vote blanc Notre indicateur de la protestation électorale interroge les électeurs sur leur proximité avec les partis suivants : LFI, PS, EELV, LREM, LR et le RN. En avril 2021, 42% des personnes interrogées se disent « sans préférence partisane ». Considéré comme un ensemble, ce groupe est socialement hétérogène, mais tous ceux qui le composent se disent éloignés de la vie politique. La défiance qu’ils expriment à l’égard des partis est plus élevée (88%) que la moyenne (80%). Les « sans-préférence partisane » sont une majorité (51% contre 37% en moyenne) à estimer que « voter ne sert pas à grand-chose, les hommes et les femmes politiques ne tiennent pas compte de la volonté du peuple ». Leur intérêt pour la politique est faible : 70% s’y intéressent peu ou pas du tout (contre 53% en moyenne). Plus des trois quarts d’entre eux (77%) pensent que les responsables politiques parlent de sujets qui ne les concernent pas en tant qu’électeurs (contre 70% en moyenne). Ils sont 67% à penser également que les médias traitent une actualité qui ne les concerne pas (contre 61% en moyenne). Le comportement électoral potentiel des « sans-préférence partisane » se caractérise par une disponibilité plus importante que la moyenne à l’abstention ou au vote blanc. Ainsi, 69% d’entre eux disent s’être déjà abstenus au moins une fois dans leur vie, contre 55% en moyenne ; de même, 65% d’entre eux répondent avoir déjà voté blanc, contre 52% en moyenne. Dans l’optique du premier tour de 2022, la plupart des « sans-préférence partisane » jugent possible de s’abstenir (58% contre 42% en moyenne). |
Ce sont des gens méfiants, qui ne sont pas tournés vers leur prochain. Un profil plutôt antipathique est ainsi brossé :
Ils ont leurs canaux d’information et sont donc sûrement complotistes :
Utilisation quotidienne des réseaux sociaux et disponibilité au comportement protestataire
A ce moment du rapport, les députés présents lors de l’audition ne peuvent être que rassurés après un début de rapport plutôt à charge contre eux. Ils sont confortés dans leurs réticences à l’égard du vote blanc. On ne sait pas si on a bien compris ce jeu de tableaux mais l’impression est défavorable.
Si on a un doute sur sa maîtrise de la lecture, c’est que la suite du rapport apparaît pleine de contradictions. On en vient à vraiment à remettre en cause l’intérêt de ces enquêtes sur des déclarations d’intention. On rejoint la critique d’Alain Garrigou sur les sondages (voir le prochain BVB). Le tableau ci-dessous nous dit que ce sont les habitants des grandes villes qui sont les plus nombreux à affirmer qu’il est important d’aller voter ; alors que l’on sait que c’est dans ces métropoles – avec peut-être l’exception de Paris – que les taux de participation sont les plus bas. Ceux qui déposent un bulletin blanc entrent dans la catégorie des électeurs pour qui l’acte électoral est important. Or les parts les plus importantes de ces électeurs se trouvent dans les régions avec peu de grandes villes.
Les habitants des grandes villes sont plus nombreux à estimer qu’il est utile de voter
D’ailleurs, dans cette partie du rapport, le discours sur le vote blanc devient moins négatif :
« La population qui s’abstient semble donc très distante du politique et manifeste un rejet global ou, à tout le moins, une perte de confiance. Diversifier l’offre et multiplier le nombre de candidats ne semble pas en mesure de ramener cet électorat aux urnes. En revanche, cela a eu une incidence très nette sur le vote blanc, qui décroît linéairement au fur et à mesure que le nombre de binômes augmentait (graphique ci-dessous). » |
Le pourcentage de vote blanc et nul décroît linéairement avec le nombre de binômes candidats
Le vote blanc est donc de nature différente de l’abstention. Il émane d’une frange de l’électorat qui « joue encore le jeu » et qui est très sensible à l’offre électorale qu’on lui propose. On a vu précédemment que la méconnaissance de l’institution départementale était assez évoquée par les abstentionnistes. Pour expliquer qu’ils ne se soient pas déplacés, 19% déclaraient ainsi ne pas connaître les candidats et 14% ne pas savoir vraiment quelles étaient les compétences des conseils généraux. On peut penser que cette distance à l’institution est plus répandue dans les zones urbaines, notamment dans les grandes agglomérations où le rapport au département et la visibilité de ses actions et de ses élus sont moins forts que dans les territoires ruraux. Cette hypothèse est validée par le fait que l’abstention augmente linéairement en fonction du nombre d’inscrits dans la commune. |
Le rapport contredit donc lui-même son enquête puisqu’il nous dit que la raison principale de ne pas aller voter est dominante plus la ville est importante.
L’accalmie est de courte durée. Le vote blanc se retrouve assimilé à un vote populiste :
« La reconnaissance du vote blanc, désormais comptabilisé à part depuis février 2014, semble en faire une nouvelle forme de protestation électorale, aux côtés du vote populiste et d’une partie de l’abstention. Selon la vague 1 de l’indicateur de la protestation électorale, placé dans la perspective de l’élection présidentielle de 2022, près d’un électeur sur deux (48%) indique pouvoir voter blanc, soit « certainement » (16%), soit « probablement » (32%). » Si le rédacteur reste toutefois prudent en employant le verbe ‘semble’, c’est que les constatations tirées de l’enquête peuvent dire tout et son contraire. On apprend que les femmes ont plus recours à l’abstention ou au vote blanc que les hommes. « Globalement, le comportement électoral des femmes se caractérise par une contribution plus importante que les hommes à l’abstention ou au vote blanc, et par une contribution moins importante au vote populiste. » Cela relativise donc le passage de l’extrait précédent où il est question d’une « nouvelle forme de protestation électorale, aux côtés du vote populiste. » Etre à côté du vote populiste, est-ce en être une excroissance ou est-ce quelque chose de différent ? Fondapol ne nous le dit pas. Le vote blanc a toujours été un moyen de signaler une insatisfaction et celui né de la réformette de 2014 n’a pas plus un soubassement idéologique unique que par le passé.
Direction le futur à la fin du rapport. Les Français s’abstiendront-ils à la présidentielle, voteront-ils blanc ?
A moins de mal comprendre le résultat à cette question d’intention de vote, il faut lire que près de 50% des sondés n’excluent pas de voter blanc au premier tour. Quel peut être l’intérêt d’une telle mesure quand on sait que le vote blanc ne dépassera pas les 5% le 10 avril ? Quand on lit plus bas le tableau des motivations pouvant engendrer ce choix, on ne peut qu’écarter d’office ceux qui disent que leur vote ne servira à rien ou qu’ils ne s’intéressent pas à la politique. Quant à l’item « protester contre le système politique actuel », si vraiment il débouche par un vote blanc dans l’urne il reste dans les intentions une motivation minoritaire qui ne justifie pas de placer le vote blanc dans la catégorie des votes populistes et encore moins des votes antisystème.
Les motivations du vote blanc et le profil des électeurs susceptibles de voter blanc au premier tour en 2022
[1] https://www.fondapol.org/etude/rapport-pour-lassemblee-nationale/