Le vote blanc et le vote noir
« Cette semaine, l’écrivain Alain Mabanckou, lauréat du prix Renaudot en 2006 et enseignant à l’université Ucla de Los Angeles, rappelle que certains peuvent considérer le vote blanc comme un caprice de ceux qui ne savent plus que faire de leur pouvoir de citoyen.
Il y a dans le vote blanc un malentendu qui ne se dissipera jamais, certains estimant que c’est la meilleure façon de faire « entendre » leur voix. L’individu qui vote blanc s’imagine exprimer une indignation. A la différence du vote nul, qui pourrait encore bénéficier de l’excuse de l’invalidité du document, ou de l’abstention, qui pourrait parfois s’expliquer par des facteurs non liés à une idéologie, celui qui vote blanc souhaiterait qu’on sache qu’il n’a de sympathie pour aucune des candidatures. En somme, qu’on le veuille ou non, il refuse consciemment d’exercer ce droit civique pour lequel se sont battus des citoyens avant lui, au prix de leur vie. [On regrette que vous ressortiez ce vieil argument contre les électeurs qui votent blanc : ils trahiraient ceux qui auraient donné leur vie pour que l’on puisse voter. Nous rappelons donc que les Poilus de 14-18 ne se battent pas pour le droit de vote mais pour récupérer des territoires. Les résistants pendant l’occupation du début des années 1940 se sont certes battus pour repousser le totalitarisme nazi mais une des figures incontestables de cette Résistance, le général De Gaulle, n’appelait pas particulièrement de ses vœux le fonctionnement de la démocratie représentative qui a prévalu après 1945 ; la mainmise des partis politiques sur ce processus n’obtenait pas ses faveurs, or c’est bien ce phénomène qui peut justifier l’existence de bulletins blancs. Enfin, c’est le XIXè siècle français colonialiste qui a lancé le mouvement vers l’universalisation du vote (dès 1948) et qui a envoyé des troupes dans le continent d’Afrique pour imposer sa présence, au nom notamment de cette valeur, sans l’accorder aux autochtones. Ce serait donc eux qui auraient donné leur vie pour que les électeurs ne votent que pour des candidats.] Il bombera le torse, revendiquera sa liberté de ne pas choisir, oubliant que les politiques les plus nauséeuses parient sur de telles capitulations puisque leurs ouailles, elles, seront au rendez-vous. [Combien de bulletins blancs aux législatives de 1933 lors de la victoire du NSDAP aux législatives en Allemagne ? Sûrement très peu. Il est toujours trop facile de faire porter sur d’autres des manquements que l’ensemble d’une société doit être capable d’assumer. Quand on vit depuis deux décennies aux Etats-Unis, on doit savoir ce qu’est le lynchage et ne pas tomber dans cette tentation. Rien ne vaut de vouloir raisonner sur un sujet important en ne le faisant qu’à très courte vue. Les défenseurs de la reconnaissance du vote blanc peuvent très bien arguer qu’en 2002, si le vote blanc avait été un suffrage exprimé, le Front National n’aurait probablement pas été présent au second tour. Ces défenseurs-là n’en font pas pour autant un suffrage vertueux ; que ceux qui sont inquiets parce qu’ils n’ont pas su endiguer la montée des extrêmes ne le transforment pas en suffrage diabolique.]
Je vis en Amérique depuis deux décennies. J’ai assisté en 2016 à l’appel au vote blanc lancé par les supporters du démocrate Bernie Sanders lorsque Hillary Clinton, démocrate comme ce dernier et victorieuse aux primaires de leur parti, était désormais opposée à Donald Trump. Certes, ce n’était pas cela seulement qui allait expliquer l’échec de Clinton à la présidentielle. D’une part elle traînait des casseroles, notamment avec l’enquête sur son adresse privée de courriels et, d’autre part, elle subissait l’ingérence de la Russie dans la campagne américaine pendant que Donald Trump réveillait l’orgueil de la suprématie blanche, ouvrant par conséquent l’une des plaies les plus pestilentielles des Etats-Unis : le racisme. [Le système électoral américain est très particulier, – par l’élection de grands électeurs dans chaque état – pour que les votes NOTA – voir le résultat dans le Nevada – ne puissent en rien être accusés d’avoir permis l’élection de Donald Trump.]
La démocratie n’est pas une addition de frustrations
Mais si tout cela jouait contre Clinton, il fallait y ajouter le comportement des partisans de Bernie Sanders qui brandissaient le « ni Hillary ni Donald » et exhortaient à ne pas voter car, d’après eux, aucune des candidatures ne méritait leur auguste voix. Parallèlement, les électeurs de Trump faisaient du porte-à- porte pour convaincre la population de soutenir leur leader. Hillary était donnée gagnante même par ceux qui promouvaient le vote blanc. Pourquoi alors voter pour elle ? Le verdict fut le contraire. Trump l’emporta.
Si on applique cette analyse à la campagne présidentielle française, nous voilà dans le « ni Macron ni Le Pen » professé par les doctrinaires du vote blanc. Or on n’a pas demandé au peuple d’écarter les deux candidatures qui restent et qui ont été librement choisies par les Français. La démocratie n’est pas une addition de frustrations, encore moins une charge portée par ceux dont les candidats n’ont pas reçu le ticket pour la finale et qui voudraient subrepticement installer le chaos. Il ne s’agit donc pas de « ni Macron ni Le Pen », il est question de « Macron ou Le Pen ». Constitutionnellement, le « ni ni » est un coup d’épée dans l’eau, et le message qui en découle ne satisfait que leurs auteurs. [Ce paragraphe est l’aveu d’un désarroi, et c’est sur cette impuissance que croissent les extrêmes. Le vote blanc, dans de tels seconds tours, doit être pris comme une chance par le camp modéré vainqueur. S’il a su élaborer un programme convaincant, s’il a bien su le défendre, il aura le soutien au-delà de la majorité absolue des Français. Les opposants absents du second tour voteront blanc pour marquer leur refus de l’extrême droite sans avoir à valider par un bulletin nominal un programme qu’ils combattent. Les résultats seront ainsi très clairs et le camp modéré vainqueur pourra mener sa politique avec plus de coudées franches. Dans le pluralisme, on peut critiquer tous les électeurs qui ne votent pas comme soi mais jamais les pointer du doigt, les dévaloriser. C’est malheureusement ce que fait cette tribune.] Je discutais encore avec des Congolais sur cette question du vote blanc. Leur avis était unanime : [on aimerait savoir à combien s’élèvent ces Congolais unanimes] ce vote est un caprice de ceux qui ne savent plus que faire de leur pouvoir de citoyen. Un peu comme si ces électeurs étaient gavés et jouaient avec leur nourriture pendant qu’ailleurs les gens meurent de faim. [En Ukraine aussi des gens meurent, victimes d’un pays où les élections donnent toujours le résultat que le chef souhaite. Les Ukrainiens préfèreraient vivre dans une société où on peut exercer son libre arbitre, voter en conscience, parce que la démocratie c’est le ‘demos’ en qui on fait confiance au lieu de le tancer comme un enfant pas sage.] Même constat chez d’autres sœurs et frères de certaines contrées de l’Afrique subsaharienne qui rêveraient de bénéficier un jour du luxe de voter blanc. [Au Bangladesh, en Inde, au Pakistan… la population demande la prise en compte du vote NOTA ; ce mois-ci, à Hong-Kong, deux personnes ont été emprisonnées parce qu’elles avaient appelé à voter blanc… En Colombie le peuple a obtenu el voto en blanco. En 2014, une femme afghane rédige une tribune pour dire « You can vote a “white vote” or a protest vote. If I cannot decide on a candidate, I will vote the white vote. It shows that you are a citizen of Afghanistan and that the fate and future of Afghanistan are important to you. » https://awwproject.org/2014/04/the-blank-vote/?msclkid=55ceb304c3d711eca5559de2ce11fbde] Pour l’heure ils ont l’obligation de voter pour le président qui squatte le pouvoir depuis plus de trois décennies. Et c’est ce qu’ils appellent là-bas le « vote noir »… [C’est ce que la prise en compte comme suffrages exprimés des bulletins blancs permettrait d’éviter.]