Le pouvoir qui dit vouloir enfin réfléchir à intégrer les bulletins blancs dans les suffrages exprimés va brandir pour finalement n’en rien faire l’idée que vote blanc = péril jaune. Pourtant…
LES TERRITOIRES DES « GILETS JAUNES
NE SONT PAS LES TERRITOIRES DU VOTE BLANC
Au début des blocages des ronds-points en novembre, on a entendu que c’était la France « du vide » qui voulait se faire entendre, la population qui se trouve dans des lieux éloignés de grandes villes qui manifestait son mal-être. C’est elle qui avait besoin de sa voiture pour aller à son travail, dans les grandes surfaces, dans des services publics et qui subissait de plein fouet la hausse du prix du carburant.
Pour nous, la France « du vide » est celle du vote blanc. Quand on cartographie la répartition des bulletins blancs ou nuls, on constate qu’ils obtiennent régulièrement des scores élevés, nettement au-dessus de la moyenne nationale, dans ces départements du centre, du sud-ouest, des Pays-de-la-Loire aux faibles densités de population.
Force est de constater, quand on compare la répartition des blocages le premier samedi et celle des bulletins blancs ou nuls au premier tour de la présidentielle, qu’elles ne se rejoignent pas. Si c’est bien dans cette France plus rurale que les scores du vote blanc dépassent les 3% pour une moyenne nationale de 2,55%, en revanche ce n’est pas là que l’on recense le plus de blocages ; on est même à l’étiage le plus bas (1 à 5). Les cinq départements qui ont dépassé les 15 blocages n’ont enregistré en avril 2017 que de 2 à 2,5% de bulletins blancs ou nuls. Pour les sept qui ont été de 11 à 15 blocages, seule la Haute-Savoie a franchi la barre des 3% de votes blancs tandis que le département des Vosges l’a frôlé avec 2,97%. Les cinq autres sont en-deçà de 2,7%. La Bretagne est pour la moitié Ouest du territoire la région où le vote blanc n’a que peu de succès. Et les « Gilets jaunes » y ont été plus actifs que dans la fameuse France « du vide ».
Si le CEVIPOF rattaché à Science Po Paris a toujours expliqué que ce vote blanc régulièrement élevé dans la France reculée est le fait d’une population éloignée de la vie politique que la pression sociale dans le village oblige à se rendre aux urnes, où elle dépose un bulletin blanc, signe de son incompétence, nous préférons de notre côté une autre analyse. Pour nous, cette France « du vide » qui s’abstient moins que dans le reste du territoire, qui vote moins Front National que la moitié Est, est une France moins durement touchée par la crise qui a commencé dans les années 1970 parce qu’elle était peu industrialisée. Le tissu social a réussi à mieux amortir les difficultés qui sont apparues. Ainsi, ces électeurs ont encore confiance dans l’acte électoral, ils pensent encore que leur bulletin a du poids, ils croient comprendre les enjeux du vote et de ce fait, quand ils sont mécontents, ils choisissent plus facilement le vote blanc que le choix électoral « coup de poing ». Il est donc fort dommage que depuis plus de trente ans que ce mode d’expression s’accroît le personnel politique ait refusé de reconnaître cette façon de s’exprimer et ait rejeté toute possibilité de débat sérieux à ce sujet. L’épisode des « Gilets jaunes » conforte plutôt notre version.
Ce personnel politique préfère réduire le vote blanc à la lecture du CEVIPOF. Pourquoi tenir compte de la voix de ces sous-citoyens ? Ce sont des handicapés de la vie politique et, comme pour tout être qui ne correspond pas aux normes, il faut l’écarter. Néfaste appréciation de partis politiques qui se sont coupés de la réalité du terrain. Parfois ça leur saute à la figure.
Le Président de la République s’est dit prêt à intégrer la question du vote blanc dans le débat national. Nous sommes encore très dubitatifs. C’est un autre fantasme sur le vote blanc que les habituels acteurs de la politique vont déverser. Si le vote blanc devient un suffrage exprimé diront-ils, ce sont tous les « Gilets jaunes », jusque-là abstentionnistes, qui vont se jeter dessus. Le péril jaune en quelque sorte dans les urnes. Pour nous, le vote blanc ne fera pas chuter en quelques tours d’élection les taux d’abstention. Ceux qui régulièrement ne vont pas voter vont trouver trop insipide cette ouverture du choix électoral. Ils veulent des effets tout de suite. C’est pourquoi ils préfèrent le RIC. C’est un gadget illusoire mais qui donne l’impression d’une grande efficacité pour renverser la table.
Comme la peur est plus forte que la réflexion, cela sera suffisant pour impressionner les conseillers du président de la république et le pousser à faire avorter la mise en pratique du vote blanc ou à la dénaturer par des subterfuges bien difficiles à imaginer aujourd’hui.
Nous espérons que ces lignes apparaîtront dans quelques mois trop pessimistes. Mais pour l’instant, il nous semble que l’ancien monde est toujours là au gouvernement, au parlement, dans les grands médias, à Science Po.