avril 26, 2024

Guy Carcassonne et le vote blanc

(L’article de Guy Carcassonne suit notre commentaire)

Déclaration de Guy Carcassonne, juriste, Europe 1, le 23 mai 1997, ancien conseiller de Michel Rocard : « Le seul cas dans lequel on pourrait envisager de donner une véritable force juridique aux bulletins blancs, c’est le cas du référendum. Si, par exemple, on constate qu’il y a un pourcentage ‘x’ de bulletins blancs, éventuellement supérieur aux ‘oui’ ou aux ‘non’, on pourrait considérer que la question est réputée n’avoir pas été posée ; et ce serait parfaitement légitime. Des gens qui diraient : ‘cette question n’a aucun intérêt’ ou ‘nous récusons les termes dans lesquels elle a été posée donc nous votons blanc’. »

LA CONFISCATION DES ELECTIONS PAR LES PARTIS THEORISEE

Guy Carcassonne, constitutionnaliste médiatisé, membre du Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions, qui a rendu sa copie le 26 octobre, a décidé de permettre au Président Sarkozy de mener une politique de réforme sans pour autant respecter tous ses engagements de campagne ; le constitutionnaliste, plutôt de gauche, espère que le chef d’Etat infléchira son action dans une direction qui le satisfera plus. Et on le sait , la fin justifie les moyens.

Dans un article du Point la semaine du 4 octobre, il théorise le bon vouloir de l’élu. Tout le processus électoral est conçu autour du candidat. Il faut à tout prix que quelqu’un décroche le pompon : « Le suffrage universel ne parle pas. Il agit. Chacun peut constater le résultat, objectif, qui donne la victoire à un candidat ou un autre, un camp ou un autre. » L’élection n’est pas le moment où le citoyen s’exprime, c’est celui où des candidats se répartissent des voix pour savoir qui prendra le pouvoir. Le vainqueur traduira la volonté des électeurs, sans que ceux-ci puissent le contredire, et dès le lendemain il prendra ou non des décisions sans avoir à tenir compte du vague programme qu’il avait élaboré pour attirer le client. C’est cela la grande idée de Guy Carcassonne : « Une victoire électorale offre, au plus, une indication sur ce que les Français veulent ou acceptent, nullement une certitude. (…) Aller plus loin, affirmer qu’en élisant tel ou tel les Français ont, du même coup, ratifié son programme est incertain .» Guy Carcassonne invente le programme électoral sans conviction affichée. « La tâche des politiques ne consiste pas à appliquer servilement un programme mais, bien davantage, à faire, à partir de quelques convictions solides, au mieux des circonstances et possibilités. » Si on comprend bien, le candidat ne doit pas afficher ses convictions au moment de la campagne au risque de ne pas être élu mais les sortir – quelques unes, pas trop – une fois élu. C’est la pochette surprise. Le programme de campagne est un attrape-client. Le citoyen n’est pas digne d’avoir une réflexion de fond avant l’élection. Il est rabaissé au rang de chair à urne. Nos hommes politiques seraient des artistes (« il s’agit bien d’un art, non d’une science » conclut-il), les citoyens des incapables et des emmerdeurs.

Pourtant, cela fait longtemps que nous considérons le vote blanc comme une carte blanche envoyée par des électeurs aux partis politiques. Des artistes devraient savoir qu’en faire et non la censurer. Du coup, M. Carcassonne, si le bulletin pour un candidat n’a pas de message, « la vérité est que l’on n’en sait rien » pourquoi refuser le vote blanc au prétexte qu’on ne sait pas ce qu’il veut dire ?…

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La chronique de Guy Carcassonne

Election

Le vrai pouvoir du suffrage universel

04/10/2007 – Guy Carcassonne – © Le Point – N°1829

La session parlementaire est placée sous le signe des promesses de campagne à tenir. Cette position, bien perçue a priori, est néanmoins équivoque, parfois dangereuse.

Le suffrage universel ne parle pas. Il agit. Chacun peut constater le résultat, objectif, qui donne la victoire à un candidat ou un autre, un camp ou un autre. Aller plus loin, affirmer qu’en élisant tel ou tel les Français ont, du même coup, ratifié son programme est incertain. La vérité est que l’on n’en sait rien. Des électeurs peuvent avoir choisi comme président de la république Nicolas Sarkozy en raison de ses promesses, mais d’autres peuvent l’avoir fait malgré elles.

Dans le passé, bien des mesures dûment annoncées avant les élections provoquèrent pourtant la levée de boucliers qui les paralysa. Il ne suffit donc pas d’invoquer l’existence d’une promesse pour garantir que sa réalisation sera approuvée et, au contraire, il est parfois plus sage d’y renoncer sans bruit. Nicolas Sarkozy a déjà évolué – par exemple sur l’interruption des négociations d’adhésion à l’Union européenne de la Turquie, qu’il a cessé de réclamer – et il sera sans doute conduit à le faire sur d’autres.

Les électeurs n’ont qu’un seul bulletin de vote, auquel on ne peut faire dire trop de choses à la fois, désigner un élu et authentifier son programme. Croire ou affirmer le contraire, c’est vouloir faire parler le suffrage universel bien au-delà de ce qu’il a eu les moyens d’exprimer, et c’est la cause fréquente de bien des déconvenues.

En d’autres termes, une victoire électorale offre, au plus, une indication sur ce que les Français veulent ou acceptent, nullement une certitude, et il est imprudent de s’arrêter à la conviction fruste selon laquelle les électeurs ont adhéré par avance à tout ce qui avait été annoncé. La tâche des politiques ne consiste pas à appliquer servilement un programme mais, bien davantage, à faire, à partir de quelques convictions solides, au mieux des circonstances et possibilités. C’est pourquoi il s’agit bien d’un art, non d’une science.