On prête attention aux propositions de loi en faveur d’un vote blanc transformé en suffrage exprimé et moins aux questions écrites de parlementaires. Le site de l’Assemblée permet de remonter jusqu’en 1988, celui du Sénat étant moins performant et nous laissant nous débrouiller avec les questions dont on a eu connaissance par un autre biais.
Côté palais Bourbon, on compte 28 questions qui réclament le vote blanc sans vote obligatoire et sans se limiter à une simple séparation des blancs et des nuls. On retrouve la même tendance politique que pour les propositions de loi. C’est largement dominé par la droite puisque seules 4 questions viennent d’un élu de gauche.
La plus ancienne question que l’on retrouve sur le site de l’assemblée est celle d’Alain Carignon en 1988. « Comptabiliser le vote blanc redonnerait a l’électeur un véritable choix, tout en lui permettant d’effectuer son devoir électoral, au lieu de se réfugier dans l’abstention au demeurant toujours difficile a interpréter. De même, les instituts de sondage mentionneraient le vote blanc, au lieu de le qualifier de « sans opinion ». Ceci permettrait de faire prendre conscience aux pouvoirs publics et aux partis politiques du décalage qui peut parfois exister avec l’opinion publique. »
C’est eux qui le disent
Elle ne recevra pas de réponse parce que le député démissionnera peu de temps après pour cumul des mandats. Mais un an plus tard, Richard Cazenave, lui aussi RPR, la repose au mot près. Cette fois-ci, il obtient une réponse. Très intéressante pour nous. Il y est expliqué, par le ministère de l’intérieur dirigé par le socialiste Pierre Joxe, qu’il ni question de faire des bulletins blancs des suffrages exprimés, ni même de créer une distinction entre les nuls’ et les blancs’ : « les mêmes tendances peuvent aussi s’exprimer en glissant simplement dans l’urne une enveloppe vide, ce qui est d’ailleurs un moyen plus expéditif et utilisé beaucoup plus fréquemment dans la mesure ou des bulletins blancs ne sont pas mis a la disposition des électeurs dans les bureaux de vote. Or, ces enveloppes vides sont comptabilisées comme suffrages nuls et non comme bulletins blancs. Dans ces conditions, la distinction entre blancs et nuls dans la comptabilisation des résultats revêtirait un caractère largement artificiel et ne permettrait pas de tirer des enseignements particuliers du scrutin, tout en rendant le dépouillement beaucoup plus complexe. Au demeurant, les votes blancs comme les votes nuls ont naturellement le même effet en ce qui concerne la désignation des élus appelés à occuper les sièges à pourvoir. » Pour une fois, nous sommes d’accord avec le ministère, pour la partie en gras. Malgré tout, aujourd’hui, la place Beauvau tient un autre discours. On se souvient que cette année, quand l’administration de Manuel Valls répond à la question de Pierre Morel-A-L’Huissier, le ton n’est plus le même, même si au sénat, l’idée de ranger les enveloppes vides dans les bulletins blancs a été rejetée : « Une proposition de loi déposée par M. Sauvadet et visant à reconnaître le vote blanc aux élections a été adoptée en première lecture par l’Assemblée Nationale le 22 novembre 2012 et par le Sénat le 28 février 2013. Elle modifie, par son article 1er, l’article L. 65 du code électoral pour assurer, lors de chaque scrutin, la comptabilisation des bulletins blancs de manière séparée des bulletins nuls. Cette modification permettrait ainsi de connaître, lors d’une élection nationale ou locale mais aussi pour certaines consultations, le nombre d’électeurs qui, sans choisir entre les candidatures proposées ou répondre à la question soumise, ont néanmoins fait le choix de voter. La part de votes blancs serait ainsi formellement distinguée des votes considérés, aux termes de l’article L. 66 du code électoral, comme nuls. » Ce qui plongeait dans le confusionnisme en 1989 est source de clarté 14 ans plus tard. Ce qui doit nous orienter vers l’optimisme c’est de constater que ce qui, un temps, paraît dangereux devient finalement souhaitable. On espère que la notion de suffrage exprimé pour le vote blanc suivra la même évolution.
Cette dernière réponse n’est pas le fait d’une erreur provenant d’un stagiaire qui aurait mal recopié ce qu’on lui avait dit d’écrire. Peu de semaines après Carignon, un autre député, encore RPR, Bruno Bourg-Broc, lui aussi écrivait au ministère et recevait une réponse du même type. Ce qui est intéressant avec lui, c’est qu’il le fait sous l’égide du Centre d’Information Civique (CIC). Les très anciens de l’Association se souviennent que nous avions été en contact avec cet organisme chargé d’inciter la population à aller voter. Mais son fondateur, Jean-Christian Barbé, gaulliste nonagénaire, n’avait pas su préparer sa succession et le CIC fut remplacé par l’actuel CIDEM, dont le vote blanc ne semble pas être la préoccupation. Dans le langage du CIC, que reprend le député, on dit institutionnaliser’ le bulletin blanc. Dans la réponse du ministère, on apprend qu’un amendement au sénat avait réclamé dans ces termes la même mesure et que déjà une fin de non recevoir avait été adressée. Plus tard, en 1994, le député UDF Léonce Deprez enverra une question jumelle à celle de Cazenave. Même si nous n’intervenons pas pour pousser des parlementaires à écrire des propositions de loi ou des questions, on voit que ça a pu être utile. Le Breton Gérard Gautier aimait agir ainsi. Nous, aujourd’hui, nous réclamons l’ouverture d’un groupe d’étude. En 2000, toutefois, nous avions obtenu que le député du Parti radical, François Loos, pose une question relative aux élections professionnelles. Envoyée au ministère de l’intérieur, celui-ci avait eu beau jeu de dire que cela relevait d’autres ministères. L’entreprise est un champ d’action que nous avons abandonné, ce qui est dommage, même si ce n’est pas le cœur de la raison d’être de l’Association.
Si les autres élus qui interpelleront le ministère au début des années 1990 ne citent pas le CIC, ils reçoivent les mêmes lignes sur la nuisance d’une séparation blanc’, nul’, que le ministre soit RPR (Pasqua en 1994, Debré en 1997) ou de gauche (Chevènement en 1997 et Vaillant en 2000). Pour les trois dernières, quelqu’un au cabinet, peut-être un stagiaire, a rajouté : « le dépouillement [serait] plus complexe, alors même que les élus locaux, surtout dans les communes rurales, se plaignent des difficultés croissantes qu’ils rencontrent pour recruter des scrutateurs en nombre suffisant. »).
Incohérence et velléité
Puis il y a l’épisode, en 2003, de la proposition de loi du groupe UDF qui est détournée par la majorité UMP – avec l’accord du secrétaire d’Etat aux relations avec le parlement Jean-François Copé qui remplace pour cette séance le ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy. On passe d’un vote blanc devenant suffrage exprimé à un vote blanc simplement distingué des nuls’, comme ce que demande l’actuel texte de l’UDI. La proposition ainsi modifiée est envoyée au sénat. C’est pourtant Copé qui critique cette mesure quand son collègue Thierry Mariani lui demande quand le texte sera mis à l’ordre du jour au sénat : « Il tient à lui indiquer, d’une part, que ce texte soulève de nombreuses questions, qui ont été évoquées lors de son examen par l’Assemblée nationale et qui justifient des réflexions complémentaires. » La même année 2005, une réponse identique est faite au sénateur UMP Louis de Broissia. Dominique de Villepin fait comme si ça n’existait pas quand il répond en 2005 au député de son bord, Jean-Marie Morisset.
Il faut se tourner, en fait, vers Nicolas Sarkozy pour envisager une évolution vers la séparation des nuls’ et des blancs’. Mais, comme à son habitude, il faut que ça vienne de lui. A l’UMP Jean-Marc Roubaud tout comme à la sénatrice socialiste, Patricia Schillinger, il répond en 2006 : « Si la prise en compte des bulletins blancs parmi les suffrages exprimés présente des inconvénients majeurs, leur comptabilisation de façon distincte des bulletins nuls ne soulèverait pas de difficulté. Cette question pourra être débattue dès qu’un projet de loi de modernisation du droit électoral sera déposé. » Le vote blanc n’aura jamais cette chance, même si son successeur, Michelle Alliot-Marie, fait durer le suspense en parlant en 2007 au sénateur Joël Billard du Comité de réflexion sur les institutions mis en place par le Président et dans lequel le vote blanc n’aurait qu’à essayer de se glisser. Mais six mois plus tard, en janvier 2008, le maigre espoir a vécu et la ministre déroule l’impitoyable argumentaire pour répondre à un sénateur centriste, Yves Détraigne.
Ce long et impitoyable argumentaire’ existe depuis 1989. La longue réponse standard, qui ne se soucie pas des subtilités de différenciation blanc’/’nul’ et qui a pour seul objectif de déglinguer l’idée de vote blanc, a d’abord été adressée par les services du ministre Pierre Joxe à Marc Dolez, PS, encore en activité aujourd’hui, puis à treize autres députés, de 1990 à 2011, dans des versions plus ou moins raccourcies. En 2010, le cabinet de Brice Hortefeux se contente d’en envoyer un résumé. Voici le contenu du texte type :
« La règle selon laquelle les bulletins « blancs » n’entrent pas en compte dans le resultat du dépouillement est traditionnelle dans notre droit électoral. Elle a été pour la première fois codifiée dans l’article 30 du décret règlementaire du 2 février 1852, puis reprise dans l’article 9 de la loi du 29 juillet 1913, devenu par la suite l’article L 66 du code électoral. Il convient, tout d’abord, de nettement définir la signification qui doit être accordée aux bulletins « blancs ». La personne qui prend soin de confectionner elle-même, et à l’avance (puisqu’il n’en est pas mis à la disposition des électeurs), son bulletin « blanc » pour l’insérer ensuite dans l’enveloppe de scrutin est animée du scrupule d’accomplir exactement son devoir électoral, en même temps qu’elle manifeste le souci de n’avantager aucun des candidats ou aucune des listes en présence. Que deviendrait cette volonté de neutralité si les bulletins « blancs » étaient comptabilisés parmi les suffrages exprimés ? Pour les élections à la représentation proportionnelle, les sièges sont attribués à des listes, proportionnellement au nombre de voix qu’elles ont obtenues. Les bulletins « blancs » ne peuvent, par hypothèse, entraîner l’attribution de sièges au profit d’une liste qui n’existe pas. Que ces bulletins soient comptabilisés ou non parmi les suffrages exprimés ne modifie donc en rien la répartition mathématique des sièges entre les listes en présence. La reforme suggérée n’aurait d’autre effet que de compliquer inutilement les opérations du dépouillement, puisqu’il devrait être prévu une totalisation spéciale pour les bulletins «blancs », celle-ci n’existant pas, à l’heure actuelle, du fait que les votes « blancs » sont totalisés avec les votes « nuls ». Pour les élections au scrutin majoritaire à deux tours (élections des députés, des conseillers généraux et des conseillers municipaux), le décompte des bulletins « blancs » parmi les suffrages exprimés aurait pour effet d’élever le chiffre de la majorité absolue. L’élection d’un candidat ou d’une liste au premier tour serait ainsi rendue plus difficile, ce qui augmenterait le nombre des seconds tours. Le résultat final ne pourrait cependant guère avoir de chance d’être modifié à l’issue du second tour, dans le cas d’un candidat ou d’une liste qui a obtenu au premier tour plus de voix que ses adversaires réunis. Il n’en reste pas moins que les votes « blancs » auraient joué au détriment du candidat ou de la liste arrivée en tête, et au détriment d’eux seuls. Dans des cas limites, on pourrait d’ailleurs se trouver dans une « impasse » juridique, dans l’hypothèse ou le nombre de bulletins «blancs » représenterait la majorité absolue des suffrages au premier tour ou la majorité relative au second. Aucun candidat ne pourrait en effet alors être proclamé, si bien que le ou les sièges à pourvoir demeureraient vacants, avec la perspective d’une élection partielle pour combler ces vacances. Pour l’élection présidentielle, l’article 7 de la Constitution prévoit que « le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés ». Dans le régime actuel, si cette condition n’est pas réalisée au premier tour, elle l’est nécessairement au second, puisque ne peuvent alors se présenter que « les deux candidats qui, le cas échéant après retrait de candidats plus favorisés, se trouvent avoir recueilli le plus grand nombre de suffrages au premier tour ». On conçoit aisément que, si les bulletins « blancs » entrent dans le décompte des suffrages exprimés, donc dans le calcul de la majorité absolue, ils jouent automatiquement au premier tour à l’encontre du candidat arrivé en tête, son élection étant rendue plus difficile. Mais, résultat plus grave, il peut très bien se faire qu’au second tour aucun des candidats n’obtienne la majorité absolue, surtout si les deux adversaires ne sont séparés que par un nombre de voix relativement réduit. Enfin, en cas de référendum, un projet est adopté à la majorité des suffrages exprimés. Si les bulletins « blancs » sont considérés comme des suffrages exprimés, le projet ne pourra être adopté que si le nombre des bulletins « oui » est supérieur au nombre de bulletins « non » et « blancs » réunis. Le projet pourrait même être rejeté si aucun électeur n’avait voté « non », dès lors que les votes « blancs » l’emporteraient sur les votes « oui ». Pour les referendums, voter « blanc » reviendrait ainsi à voter «non ». Comptabiliser les bulletins « blancs » parmi les suffrages exprimés serait donc sans effet pratique dans les élections à la représentation proportionnelle. Dans tous les autres scrutins, en revanche, une telle reforme irait a l’encontre de la volonté de neutralité manifestée par les électeurs qui auraient déposé un bulletin « blanc » dans l’urne. Compte tenu des observations qui précèdent, l’auteur de la question comprendra qu’il ne peut être envisagé de retenir sa suggestion. »
Vain contrefeu
Dominique Paillé, député UDF qui bientôt tombera dans le culte du vote obligatoire et passera avec armes et bagages à l’UMP, développe sa question pour essayer de désamorcer l’argumentaire systématique : « La démocratie repose sur l’exercice du libre choix des citoyens, pour élire leurs responsables politiques. Ce droit de choisir s’exprime à travers le droit de vote, droit essentiel de l’individu en tant que détenteur d’une fraction de la souveraineté nationale. Ce principe constitutionnel a été consacré, il y a plus de deux siècles. Depuis plusieurs années, à chaque scrutin, il apparaît que le nombre des abstentionnistes ne cesse de croître. Les citoyens n’exercent plus de droit fondamental. Ils ne remplissent plus le devoir civique qui leur incombe : 61,3 % d’abstention lors du référendum sur la Nouvelle-Calédonie en 1988, plus de 30 % à chaque élection législative depuis cette même année, 53,25 % aux élections de juin 1999 et 69,3 % au référendum du 24 septembre 2000 relatif au quinquennat. En outre, à l’élection présidentielle de 1995, le vote blanc et nul approche les deux millions de suffrages. Il a recueilli 4,8 % des électeurs inscrits et 6 % des votants (contre 3,2 % en 1988 et 1,34 % en 1974). Aux élections législatives de 1997, au second tour, il atteint le record de 6,32 %. Enfin, aux élections européennes de 1999, les votes blancs se situent toujours à un niveau très élevé : 5,93 % des votants et 2,8 % des inscrits. Ce phénomène met gravement en péril la démocratie toute entière car il amène à douter de la légitimité des élus. Voter est non seulement un droit mais un devoir civique. La loi a pour obligation de permettre à chacun d’exprimer son choix. Or, certaines règles qui régissent le droit du vote sont aujourd’hui inadaptées. La loi reconnaît l’existence du vote blanc sans pour autant lui donner une quelconque valeur juridique. Il ne se distingue pas en ce sens, ni du vote nul, ni de l’abstention. Tous les sondages réalisés sur cette question attestent que l’opinion publique est largement favorable à une reconnaissance de vote blanc. Les nombreuses propositions de lois déposées tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, la placent au cœur des préoccupations de la représentation nationale. Cette reconnaissance n’achoppe aujourd’hui sur aucun obstacle politique ou juridique. Elle ne complique pas le processus de désignation des élus et ne modifie pas l’équilibre de nos institutions. Elle n’a pas non plus de conséquence pour l’élection du Président de la République. Il est en effet improbable que le nombre de bulletins blancs soit supérieur à la majorité requise à l’issue du second tour. Des associations soutiennent ces propositions et sollicitent les élus, pour déposer à l’occasion des prochains scrutins, des bulletins blancs M. Dominique Paillé demande à M. le Premier ministre de lui indiquer sa position. » La position de Daniel Vaillant est simple, c’est non’. Mais comme il est embarrassé, il ne déroule pas l’argumentaire habituel. Il préfère reprendre le texte qui parle de la séparation blanc’/’nul’, sans mener le déroulement jusqu’au bout parce qu’il est hors-sujet. Il finit donc en se réfugiant derrière les machines à voter qui devraient régler le problème qu’il a posé mais que n’a pas évoqué le député.
Il n’y a donc pas de cohérence dans la réflexion de notre personnel politique accédant au gouvernement sur le vote blanc mais une grande permanence chez les fonctionnaires chargés de rédiger les réponses. Nous le savions, mais c’est bien de se le remettre en tête.